L’énigme de la taille du proton - 26 août 2016

Rappel

Le proton est une particule subatomique portant une charge élémentaire positive.

 

Les protons sont présents dans le noyau atomique, éventuellement liés avec des neutrons par l'interaction forte (le noyau de l'isotope le plus répandu de l'hydrogène, 1H+, est un simple proton) ; le proton est également stable par lui-même, en dehors du noyau atomique.

 

Le proton n'est pas une particule élémentaire, étant composé de trois autres particules : deux quarks up et un quark down, ce qui en fait un baryon.

 

Le nombre de proton d'un noyau est représenté par son numéro atomique (Z).

Août 2016

 

En physique, pour percer les secrets de la nature, il y a la manière forte et la manière douce. La forte consiste à entrechoquer violemment des particules élémentaires dans l’espoir d’en faire apparaître de nouvelles. C’est ce que fait l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) de Genève dans son accélérateur géant, le LHC.

 

La manière douce vise, au ­contraire, à préserver au mieux les particules pour espérer observer des comportements déviants par rapport à ce qui serait attendu. C’est ce que vient de publier une équipe internationale dans Science du 12 août en observant à la loupe l’une des plus simples briques élémentaires de la matière, le proton, qui compose chacun des noyaux de nos atomes. Ils ont confirmé que cette boule est ­extrêmement petite. Il faudrait en enfiler un milliard pour atteindre un collier d’un micromètre seulement. Surtout, la valeur est 4 % plus faible que prévu. A l’aune d’un tour de taille, l’écart peut sembler ridicule, mais pour des physiciens habitués à des mesures de haute précision, c’est colossal. Intrigant et obsédant. La preuve peut-être d’une défaillance de nos théories fondamentales actuelles.

 

 

Karsten Schuhmann et Aldo Antognini dans la grande halle d’expérimentation de l’Institut Paul-Scherrer, à Villigen (Suisse). MARKUS FISCHER / PAUL SCHERRER INSTITUT

Déjà en 2010 - Mécanique quantique

 

En fait, l’équipe enfonce ici le clou. En 2010, elle avait déjà conclu à un rétrécissement du proton. Mais cette fois, elle a analysé de nouvelles données issues de la même expérience réalisée à l’Institut Paul-Scherrer (Suisse) et confirmé ses conclusions. « Cela ne change pas le tableau général, mais ça renforce le mystère. Cela réduit la chance qu’il y ait un problème...

 

En effet,  déjà 2010, ces scientifiques cherchant à obtenir le rayon de la particule avec plus de précision avaient obtenu un résultat significativement plus petit que prévu.

 

Une deuxième expérience, publiée dans Science, confirmait cette mesure surprenante. Personne ne comprend d’où vient la différence avec les résultats antérieurs.

 

Mais, si elle se confirme, une des théories les mieux établies du siècle dernier – l’électrodynamique quantique, qui a permis le développement de pratiquement toute l’électronique – va devoir être révisée. A moins que cette «déviation» ne donne naissance à une nouvelle physique.

 

Chaque science a ses modèles de prédilection.

 

Pour les généticiens, c’est la souris,

pour les botanistes, une plante appelée «arabette des dames».

 

Les physiciens, eux, s’acharnent sur l’atome d’hydrogène.

Et pour cause: il s’agit de l’atome le plus simple possible.

Un proton chargé positivement, autour duquel gravite un électron chargé négativement.

Du modèle même de l’atome aux horloges atomiques, en passant par le développement de l’électrodynamique quantique, l’étude de l’hydrogène a généré plus de Prix Nobel de physique que n’importe quel autre sujet de recherche.

Une sorte de pierre de Rosette des physiciens, comme le décrit Theodor Hänsch, lui aussi lauréat de la prestigieuse distinction pour ses travaux sur l’atome d’hydrogène, et cosignataire des travaux publiés aujourd’hui dans Science.

 

Mais, pour pouvoir continuer à exploiter cette inépuisable source de progrès, les chercheurs avaient besoin d’obtenir une plus grande précision dans la mesure du rayon du proton, explique Aldo Antognini, l’un des auteurs de l’étude.

 

Historiquement, la taille de la particule a été calculée en mesurant «l’ombre» qu’elle projetait lorsqu’elle était bombardée par un faisceau d’électrons. Ce qui a d’ailleurs valu le Prix Nobel à Robert Hofstadter en 1961.

 

Au cours des années 1980, une deuxième méthode a été élaborée. Dans l’atome d’hydrogène, l’électron qui gravite autour du proton peut naviguer sur différentes orbites.

 

«Il peut se trouver à différents niveaux mais pas entre deux, un peu comme sur une échelle», précise Aldo Antognini.

 

Lorsque l’électron passe d’un échelon à l’autre, il émet un rayonnement qui peut être mesuré et le rayon du proton peut être déduit de cette mesure.

 

Afin d’augmenter la précision, un groupe international de chercheurs a décidé il y a une quinzaine d’années de mettre sur pied une nouvelle expérience, en utilisant de l’hydrogène «exotique».

Dans cet hydrogène, ce n’est plus un électron qui gravite autour du proton, mais son cousin obèse, le muon, qui porte la même charge négative mais est 200 fois plus lourd.

 

A cause de cette différence de masse, son orbite est beaucoup plus proche du proton et il est plus sensible aux effets de sa taille, ce qui permet une mesure plus précise.

 

Cette expérience avait été imaginée dans les années 1970 déjà, mais personne n’avait réussi à la réaliser. Il faut dire que les muons ont une durée de vie de deux millionièmes de seconde et que seuls les instruments du Paul Scherrer Institut de Villigen (PSI), où les mesures ont été réalisées, sont capables d’en produire assez pour ce type de recherche.

 

Après dix ans d’efforts, les scientifiques ont enfin obtenu un résultat, publié en 2010. Celui-ci était, comme prévu, dix fois plus précis que les valeurs précédentes, mais il était aussi plus petit de 4%. Pour les physiciens, c’est beaucoup.

 

«Depuis, ce résultat inattendu a provoqué beaucoup de débats, mais l’origine de la discrépance n’a pas été identifiée», souligne Helen Margolis, de l’Institut national britannique des mesures, dans un commentaire également publié aujourd’hui dans Science.

 

Quelque 150 études se sont penchées sur cette énigme, sous l’angle aussi bien expérimental que théorique.

De leur côté, les chercheurs ont poursuivi leur travail et effectué une deuxième mesure de ces sauts d’échelons dans l’hydrogène «exotique». Leur résultat confirme celui de 2010, avec encore un ordre de grandeur de précision supplémentaire.

 

Face à ce mystère, la première explication évoquée est celle d’un artefact expérimental, comme pour les fameux neutrinos, qui semblaient aller plus vite que la lumière.

 

«Pour ma part, je ne vois rien à critiquer dans la méthodologie», commente Martin Pohl, directeur du Département de physique nucléaire et corpusculaire de l’Université de Genève et membre du comité du PSI chargé d’évaluer la valeur de ces expériences, qui rappelle qu’il a toujours été sceptique concernant les neutrinos.

Quant aux anciennes valeurs, elles sont en train d’être réanalysées.

 

«Si l’un des deux résultats est faux, on retient le bon et l’histoire finit là, poursuit le physicien. C’est si les deux sont justes que cela devient vraiment intéressant.»

 

Il se peut qu’il y ait un problème avec la théorie.

 

Celle de l’électrodynamique quantique, en l’occurrence, qui décrit les interactions de la matière et de la lumière. Mais, suite aux nouveaux résultats, les calculs ont été révisés sans qu’on ne trouve de faille.

 

«Peut-être la théorie de l’électrodynamique quantique n’est-elle pas tout à fait complète, avance Aldo Antognini. Peut-être y a-t-il quelque chose que nous ne comprenons pas entièrement.»

 

Helen Margolis fait toutefois remarquer que cette théorie est la plus précise et la mieux testée de toute la physique fondamentale.

 

«On la connaît depuis les années 1940, on a eu 70 ans pour la mettre à l’épreuve, abonde Martin Pohl. De la radio au laser, elle est utilisée dans presque toute l’électronique.»

 

A ses yeux, mais ce serait révolutionnaire, l’hypothèse la plus vraisemblable est la «non-universaliste», selon laquelle l’électron et le muon, tout en ayant la même charge électrique, ne se comportent électromagnétiquement pas de la même façon.

 

Pour Aldo Antognini, cela pourrait être le point de départ d’une nouvelle physique:

«Il faut être très prudent. Mais il existe un modèle un peu fou qui pourrait expliquer notre discrépance sans entrer en contradiction avec tout le reste.»

 

D’autres suggèrent encore que c’est la structure du proton qui est plus complexe que les scientifiques ne le pensaient jusqu’ici.

 

«La physique évolue grâce à ce genre de petites déviations, poursuit le chercheur. C’est d’ailleurs en explorant l’une d’entre elles que la théorie de l’électrodynamique quantique est née. Imaginez qu’il y a une fuite dans un barrage. Ce n’est peut-être qu’un tout petit peu d’eau mais il serait déraisonnable de ne pas vérifier s’il ne s’agit pas d’un problème plus fondamental.»

 

De nouvelles expériences sont en cours d’élaboration pour tenter d’y voir plus clair. Il s’agit notamment de revenir à l’expérience «historique», où l’on mesure «l’ombre» du proton, mais en le bombardant cette fois aussi bien avec des électrons qu’avec des muons. Le fait d’utiliser le même appareillage permettrait d’observer si la différence se confirme entre les deux particules ou si elle était liée au dispositif expérimental.

 

 

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