Notre science peut-elle tout expliquer ? 17 septembre 2016

Philippe Solal, philosophe et co-auteur du livre « Ovnis et conscience » vient d’offrir à la toile un superbe texte qui met la science face à sa propre impuissance à pouvoir tout expliquer. Il nous a autorisé à partager avec vous, ici, le contenu de ses riches propos.

Quel est le plus grand tabou de la société occidentale ? Le tabou des tabous ? Celui qui consisterait à remettre en question la croyance selon laquelle la science peut tout expliquer.

 

Or il s’agit bien là d’une croyance, celle selon laquelle le label « scientifique » équivaut au « vrai », à l’absolument certain. L’expression « c’est scientifiquement prouvé », fait taire les polémiques, calme les ardeurs et force le respect. Hors de la science point de salut, c’est là le credo du scientisme et de son corollaire naturel, la croyance en un progrès indéfini vers le vrai.

 

Il s’agit là, au bas mot, de la plus terrible imposture qu’ait connu l’histoire des idées car non seulement la science ne peut pas tout expliquer mais son objet n’est pas même la vérité. Seuls les plus grands l’ont dit et répété, mais ils n’ont pas été écoutés.

Einstein lui-même dans son ouvrage co-écrit en 1934 avec Léopold Infeld « Comment je vois le monde », nous rappelle que le physicien est comparable à un homme qui, de l’extérieur, essaie de décrire le mécanisme d’une horloge, d’en comprendre le fonctionnement, d’en restituer le principe, mais ce qu’il propose ne sera qu’une image, ou mieux,

un « modèle ».

 

La science construit des modèles mais ne nous dit rien sur la nature intime du Réel.

 

L’expression « c’est scientifiquement prouvé » ne veut donc rien dire du point de vue du métaphysicien sinon que, dans le cadre d’un modèle de représentation qui a démontré son efficacité prédictive, nous pouvons anticiper l’occurrence de certains événements.

 

La science ne nous parle pas du réel et ses objets sont purement imaginaires : « champ », « particules », « force » sont des êtres imaginaires, de pures constructions intellectuelles auxquelles on pourrait leur substituer d’autres objets tout aussi imaginaires pour peu qu’ils soient efficaces.

C’est pourquoi la conception de la gravitation induite par la théorie de la Relativité générale a-t-elle pu si facilement se passer de la notion de force et lui substituer celle de courbure de l’espace-temps.

Et cette substitution fut, on s’en souvient, très efficace puisqu ’Einstein montra triomphalement, en novembre 1915 que la déformation de l’espace-temps autour du Soleil étant maximale au niveau de Mercure, celle-ci expliquait le phénomène de précession du périhélie de mercure (environ 43 secondes d’arc par siècle).

Cette formalisation mathématique fut efficace car sa prédictibilité se révéla exacte dans l’ordre des phénomènes et de leur occurrence.

 

Mais dans l’ordre de la réalité intime des choses, au-delà des phénomènes, rien ne nous dit que l’espace soit bien une réalité objective extérieure à la conscience.

 

La science remplace ainsi le « vrai » par « l’efficace » comme l’avait déjà écrit le mathématicien Poincaré. Elle est, en ce sens, essentiellement « pragmatique », mais elle ne nous dit rien de la structure profonde du réel. Celle-ci n’est pas son objet, car c’est là l’objet de la métaphysique.

Le voile du temple se déchira de lui-même lorsque Jésus rendit l’âme sur la croix. Une déchirure « de haut en bas » comme une invitation à aller désormais au-delà des apparences.

Ce rappel a des conséquences fâcheuses pour tous ceux qui croient (et j’étais de ceux-là encore il y a peu) que tôt ou tard science et métaphysique, science et spiritualité finiront par se rejoindre, lorsqu’enfin les physiciens auront intégré la donnée « conscience » dans leurs équations.

 

Position naïve à un double titre :

 

a) Cette position est, en réalité, l’ultime sophistication du scientisme, celle qui consiste à croire que le réel pourra être mis en équation, que son essence profonde pourra tenir en une formule unique, comme l’ambitionnait la théorie des cordes et bien d’autres avant elle.

 

b) elle suppose que la conscience puisse être une variable comme une autre, au milieu d’une suite d’équations censées décrire des propriétés matérielles. Allez demander à n’importe quel physicien si cela a un sens de procéder ainsi, il vous rira au nez, comme on me ria au nez, à Toulouse, dans un célèbre laboratoire où j’avais posé la question.

 

La conscience est l’inverse de la matière : elle n’est pas spatialisée, elle n’a ni masse ni poids, ni aucune des propriétés par lesquelles on définit et mesure la matière. Elle ne peut s’intégrer dans aucune équation, car elle n’est pas mesurable. Et si on change le mot « équation » par le mot « algorithme », la conclusion sera strictement la même.

 

La physique est taillée pour expliquer la matière et lui demander d’intégrer la conscience dans ses équations c’est comme demander à un chat d’aboyer ou à un linguiste de faire de l’architecture. Le mariage incongru de la carpe et du lapin. Aussi, l’idée selon laquelle science et spiritualité pourraient se rejoindre, comme deux arcs de cercle qui finiraient par se toucher à un certain niveau de leur prolongement, est foncièrement naïve car les sciences de la matière et celles de l’esprit ne se situent pas au même niveau.

 

La matière est le produit de l’esprit, et on ne peut pas réunifier deux éléments qui entretiennent entre eux une relation de principe à conséquence. On peut tout au plus les emboiter, montrer leur lien de production, pas les unifier. Or ce lien de production, ce n’est pas la science qui peut le penser, c’est seulement la métaphysique qui peut l’établir, car son objet c’est précisément l’esprit, c’est-à-dire le réel.

 

La science matérialiste sera toujours en décalage avec la métaphysique car elle ne porte que sur le phénoménal, l’apparence des choses, le « mondain » comme disent les phénoménologues (par opposition à « l’extra-mondain », le monde de l’invisible, de l’activité de l’esprit, que ce soit l’activité de nos âmes ou du « je » transcendantal kantien).

C’est là chose fâcheuse pour le domaine de la spiritualité qui espérait, en atteignant ce point de convergence avec la science, pouvoir bénéficier de l’aura de « véridicité » de cette dernière, et entrer elle aussi dans le « mainstream ». Or ce n’est pas comme cela que ça se passe, si je puis dire. La science matérialiste porte sur le monde des phénomènes qui constitue, en lui-même, un voile. Un voile d’apparence qui est parfois aussi un voile d’ignorance.

 

Pour pénétrer dans l’essence intime du réel, il faut déchirer le voile, ce qui n’est qu’une autre manière de dire que si une véritable alliance pouvait se conclure entre science et spiritualité, la science perdrait son âme. Cette conjonction hypothétique entraînerait en effet sa dissolution immédiate dans la science de l’esprit, c’est-à-dire dans la métaphysique. Les phénomènes matériels étudiés par la science seraient alors rapportés à leur source réelle, c’est-à-dire à l’esprit et à ses intentions.

 

On comprend ainsi mieux pourquoi depuis deux siècles, la science matérialiste n’a eu de cesse que de nier toute légitimité à la métaphysique et à la proscrire. La métaphysique met en danger la physique car elle nous rappelle que cette dernière n’a pas pour objet de dire le « vrai » et le « réel » mais de décrire un pur monde d’apparences, le monde phénoménal.

 

Aussi tous les physiciens qui continueront à croire que la physique peut rejoindre la métaphysique le feront au risque de leur propre science. Mais c’est là le prix à payer pour déchirer le voile d’ignorance, celui qui nous masque l’accès au monde de l’invisible.

 

Philippe Solal

 

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