« Premier contact » : quand on verra des extraterrestres, on ne saura pas quoi leur dire - 16 décembre 2016

Le film « Arrival » (« Premier Contact » dans sa version française) arrive sur les écrans, mettant en relief la difficulté d’établir un contact avec des espèces différentes. Et si l’on n’avait simplement rien à se dire ?

Chronique de Jean-Paul Fritz du Nouvel Observateur

Communiquer avec des extraterrestres, c’était facile… à Hollywood. Jusqu’ici, chaque fois que l’on rencontrait des espèces suffisamment évoluées, on leur parlait en anglais, avec quelques astuces de scénarios (le traducteur universel, par exemple). L’autre option, c’était de dégainer son fusil-laser et de tirer sans poser de questions, parce qu’après tout, ces aliens avec de grandes dents et de grandes tentacules, ils étaient vraiment méchants. Même dans l’imagination de scientifiques, comme dans « Contact » (le roman de Carl Sagan et le film qui en a été tiré), on arrivait à trouver la clé de la communication dans les mathématiques.

 

Dans « Arrival », cependant, on reconnaît la difficulté de manière plus réaliste : les extraterrestres ne pensent pas forcément comme nous, et communiquer avec eux risque d’être un sacré challenge. Bien sûr, sans dévoiler l’intrigue, Hollywood va bien trouver un moyen.

 

Et dans la réalité, alors ?

Que se passera-t-il le jour où nous recevrons des signaux en provenance d’une intelligence extraterrestre, ou que nous nous retrouverons face à face avec eux, quelque part dans le système solaire ou ailleurs ?

Serons-nous capables de les comprendre ?

 

Ted Chiang, l’auteur de la nouvelle qui a inspiré le

film « Arrival », déclarait récemment que

« les humains ne peuvent pas communiquer avec d’autres espèces sur Terre, ce qui rend improbable qu’ils soient capables de communiquer avec des formes de vie extraterrestres. D’un autre côté, il y a l’argument qui dit que toute espèce qui atteint un haut niveau technologique comprendrait nécessairement certains concepts, alors cela devrait fournir une base pour au minimum un niveau limité de communication ».

 

Il faudrait d’abord comprendre comment ils communiquent…

 

On peut tout de même émettre de sérieux doutes sur nos capacités à comprendre nos voisins cosmiques. L’anthropomorphisme latent dans la science-fiction en général tend à simplifier la chose en donnant à E.T. des motivations globalement similaires à celles de notre espèce, alors que les vrais extraterrestres, eux, peuvent être si différents que taper la causette avec eux (ou comprendre leurs messages) risque de se situer au rayon « mission impossible ».

 

Deux exemples pour bien illustrer le challenge :

– Déchiffrer une langue humaine, ce n’est pas simple. Il est nécessaire de trouver des traductions en plusieurs langues, des points de référence. Ainsi, si Champollion a pu traduire les hiéroglyphes égyptiens, c’est parce qu’il a pu accéder à la pierre de Rosette, avec le même texte en trois versions, dont le grec. Il existe toujours des écritures non déchiffrées à ce jour, comme le linéaire A des Crétois ou l’écriture de l’Indus, pourtant, ce sont des civilisations humaines pour lesquelles nous avons des tas de références communes. Alors recevoir un signal radio, laser ou autre, venu d’une espèce différente née sous un autre soleil risque d’être bien pire.

 

– Certaines espèces non humaines ont des formes de langage sur notre propre planète, et nous ne les avons pas encore déchiffrés malgré toute notre technologie. C’est le cas de celui des dauphins ou de celui des chimpanzés. Pourtant, là aussi, nous avons des références communes : ce sont des mammifères, et nous connaissons leur milieu, leurs comportements… Parler à un extraterrestre dont nous ne connaîtrons même pas les conditions de vie, ce sera une autre paire de manches.

Imaginez alors que nous rencontrions des extraterrestres vraiment très différents de nous, avec des motivations qui nous échappent.

S’ils nous envoient des messages, rien ne dit qu’ils utiliseront des ondes radio.

Peut-être ont-ils des moyens de communication à distance que nous n’écoutons pas… parce que nous ne les connaissons pas encore.

 

Leurs systèmes de références nous seront probablement totalement étrangers.

Peut-être voient-ils dans d’autres longueurs d’ondes que nous, écrivant avec des nuances de couleurs que nous ne pouvons pas voir.

Si E.T. est un poulpe géant qui nous parle de l’importance des différents types de courants des mers de méthane liquide classés par températures (avec une échelle inconnue), tout cela grâce à des émissions de phéromones assaisonnées de mouvements de tentacules buccaux, bon courage aux traducteurs.

 

Communiquer avec les Aliens pour les nuls (nous)

 

Les scientifiques, notamment ceux du SETI, l’organisme qui s’est spécialisé dans les tentatives de détection de signaux extraterrestres depuis plus de cinquante ans, ont cependant déjà envisagé le problème sous toutes les coutures, ou presque. Pour le langage, le point commun pourrait éventuellement être les mathématiques, et dès les années 60 une « langue artificielle » basée dessus a été inventée. Mais ce ne sera peut-être pas suffisant.

 

Sur son blog, le linguiste américain Mark Liberman va à l’essentiel.

Pour lui, le processus de communication serait organisé de la manière suivante :

 

1. Les persuader de ne pas nous tuer (et inversement)

2. Les persuader (ou les contraindre) de nous laisser observer leurs interactions entre eux (et inversement)

3. Concevoir et construire des systèmes pour enregistrer, analyser et synthétiser leurs signaux de communications (ou attendre qu’ils fassent la même chose pour les nôtres)

4. Utiliser ces systèmes pour effectuer une sorte de « démonstration monolinguistique », et espérer que nous pourrons arriver à les comprendre et communiquer avec eux jusqu’à un certain point.

 

Pourquoi ça ne marchera pas (ou très peu)

 

« Les premiers scientifiques qui recevront un signal d’une intelligence extraterrestre recevront vraisemblablement une quantité limitée de données », explique John W.Traphagan dans « Archéologie, anthropologie et communication interstellaire », un ouvrage publié en 2014 par la Nasa.

« Si nous capturons seulement un signal qui n’est pas directement destiné à attirer l’attention d’une civilisation étrangère (comme la nôtre), alors il pourrait être extrêmement difficile de trouver un sens clair de ce que nous recevons. Ce n’est pas seulement une question de traduction, même si nous pouvions déduire les significations spécifiques de constructions linguistiques qui correspondraient à quelque chose dans notre propre langue, nous n’aurons aucun cadre de référence culturel avec lequel interpréter comment ces significations s’appliqueraient à une société extraterrestre. Même les mathématiques, le langage de la science, ne sont pas sans difficultés dans leur interprétation. »

 

Malgré cela, certains, comme le METI (l’équivalent du SETI, mais pour envoyer des messages à destination des extraterrestres), pensent que l’on peut y parvenir.

 

« Ce que nous pourrions faire est renvoyer ce qu’ils nous ont envoyé, comme ça ils le reconnaîtraient et diraient

« ah, ce n’est pas une sitcom ou les nouvelles du soir, mais ils ont tout de même reçu notre signal »,

explique Doglas Vakoch, président du METI international.

 

Tout en préconisant l’emploi des mathématiques (« ils savent probablement que un plus un égale deux »), il reconnaît que nous pourrions ne jamais comprendre ce qu’ils nous disent.

 

« D’une certaine manière, tout message que nous recevrons d’un extraterrestre sera comme un test de Rorschach

cosmique »,

schématise-t-il, faisant allusion au fameux test d’interprétation d’une tache d’encre.

« Si nous pouvons vraiment arriver à comprendre une autre civilisation dans ses propres mots, notre conscience de l’univers s’ouvrirait à une manière radicalement nouvelle de rencontrer l’univers ».

 

Il est possible que l’on arrive à communiquer avec ces intelligences venues d’ailleurs, que l’on puisse échanger quelques messages remplis d’équations, ou établir de part et d’autre que l’on n’est pas seuls dans l’univers, qu’il y a des formes de vies différentes avec des visions de l’existence étrangères l’une à l’autre.

 

Si l’on a de la chance, on évitera les intérêts divergents, les sources de conflit, l’agression. Mais une fois cette communication basique établie, il y a de fortes chances que l’on n’ait pas grand chose à se dire…

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