Que va faire la Chine sur la face cachée de la Lune ? - 30 décembre 2016

La sonde Chang’e 3 à la surface de la Lune

Le gouvernement chinois vient d’annoncer ses orientations spatiales pour les cinq ans à venir.

 

Au menu, Mars… et la face cachée de la Lune. Mais pour quoi faire ?

Le bilan spatial 2016 de la Chine est plus que globalement positif. Depuis plusieurs années, le pays s’affirme comme une grande puissance, et compte bien poursuivre dans cette direction.

C’est en tout cas ce que l’on peut retenir de la communication faite mardi 27 décembre par le Conseil des affaires de l’Etat, l’organisme qui chapeaute l’ensemble de l’administration chinoise.

 

On sait déjà que la Chine a des ambitions en orbite terrestre : le lancement du laboratoire spatial Tiangong 2 en septembre, occupé par deux astronautes en octobre, préfigure une future station spatiale permanente qui devrait être en service à peu près au même moment que l’ISS doit terminer sa mission (2024).

Dans les 5 ans qui viennent, les Chinois visent Mars, comme tout le monde. Une sonde est prévue pour 2020, avec un atterrisseur, le tout devant permettre de tester et de mettre au point les technologies qui permettraient ensuite de ramener des échantillons de sol martien, peut-être même avant la Nasa... La Chine laisse aussi entrevoir ses ambitions ultérieures, qui viseraient la ceinture des astéroïdes ainsi que Jupiter et ses lunes.

Les premiers échantillons lunaires depuis Apollo

 

Mais avant Mars, c'est la Lune qui est la cible du programme d'exploration de la Chine.

En 2013, la république populaire faisait alunir la sonde Chang'e 3, avec à son bord un véhicule d'exploration, le rover Yutu, "lapin de jade".

Non seulement cette mission a prouvé la capacité de la Chine à poser un engin en toute sécurité à la surface de notre satellite, mais elle a aussi démontré la fiabilité de sa technologie sur la durée : si la mission est aujourd'hui officiellement terminée, la sonde comme le véhicule d'exploration sont toujours en état de fonctionnement, même si le second a souffert quelques avaries affectant sa mobilité et s'est mis en hibernation.

 

La suite, c'est dans un an. L'agence spatiale chinoise prépare en effet l'alunissage d'une nouvelle sonde,  Chang'e 5, qui devrait se poser à la surface de notre satellite fin 2017.

 

Cette sonde va non seulement se poser sur la Lune, mais aussi collecter des échantillons de terrain et les renvoyer sur Terre.

 

Si la mission est un succès, la Chine serait la troisième nation à rapporter du sol lunaire, après les missions soviétiques Luna et bien sûr le programme Apollo.

 

Ce retour de rocs lunaires interviendrait aussi 45 ans après le retour du dernier humain sur la Lune avec un sac d'échantillons..

 

Une première, de l'autre côté de la Lune

 

Chang'e 4 doit suivre, en 2018. L'inversion de numéros entre les missions 5 et 4 s'explique par le fait que Chang'e 4 a été conçue comme le remplaçant possible de Chang'e 3, et que son lancement était initialement prévu en 2015.

Désormais, la mission Chang'e 4 doit représenter une première dans l'histoire de la conquête spatiale : un atterrissage sur la face cachée de la Lune.

 

Il faut se rappeler que la Lune et la Terre sont en rotation synchrone, ce qui signifie que notre satellite nous présente toujours la même face.

Ce qui se passe de l'autre côté ne nous est connu que depuis l'ère spatiale, lorsque les sondes soviétiques et américaines, et même les capsules Apollo, ont survolé ces terrains inexplorés. Mais aucun engin humain ne s'y est encore posé.

 

La mission de Chang'e 4 sera multiple. Il y aura bien sûr une analyse du terrain aux alentours du lieu d'atterrissage, avec des expériences menées sur certains échantillons recueillis pour "mieux comprendre l'histoire et la formation de la Lune", précisent les autorités Chinoises.

 

Les tests permettront probablement aussi de déterminer la présence de minéraux exploitables dans le futur. Mais la sonde et son véhicule robot vont aussi effectuer des "observations radio-astronomiques à basses fréquences".

 

Il faut savoir que si la pollution lumineuse peut faire obstacle aux observations astronomiques sur Terre, il en est de même de la pollution électromagnétique pour la radio-astronomie.

 

Les ondes que nous émettons tout autour de la planète sont en effet susceptibles de perturber les observations des radiotélescopes. De plus, l'atmosphère bloque toute une gamme d'ondes (au-dessous de 30 Mhz) : c'est donc toute une partie de l'univers qui nous est cachée à partir de la Terre.

 

La face cachée de la Lune permet de telles observations, la Lune elle-même faisant écran devant la Terre, et sa quasi absence d'atmosphère ne présente aucun obstacle supplémentaire.

 

La Chine est experte en radio-astronomie, et vient d'ailleurs d'inaugurer le plus grand radiotélescope du monde fin septembre.

 

Pour la mission Chang'e 4, elle a cependant fait appel à l'expertise néerlandaise pour construire l'antenne radio qui doit effectuer des observations à partir de la face cachée de la Lune.

Cela pourrait nous amener de précieuses informations sur les premiers âges de l'univers et peut-être aussi aider à la recherche de vie extraterrestre, une autre priorité affichée par la Chine.

 

La course vers le pôle sud... lunaire ?

 

Les étapes suivantes sont moins officielles, mais certains responsables Chinois ne cachent pas les ambitions de leur pays.

Ainsi, Wu Weiren, concepteur des missions lunaires chinoises, expliquait récemment à la BBC que la Chine veut "faire atterrir des humains et qu'ils y restent pour une longue période, et établir une base de recherche".

 

Le communiqué du Conseil des affaires de l'Etat, lui, laisse entrevoir la première étape : des vols habités autour de la Lune, qui pourraient être la suite directe du programme de station spatiale.

 

Reste que les ambitions chinoises vers la Lune, affichées ou non, inquiètent certains observateurs.

Ainsi, cet été, Martin Elvis, astrophysicien au Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, mettait en avant dans une étude les qualités de régions lunaires tels les "pics de la lumière éternelle", au pôle sud.

Ces montagnes ont la particularité d'être en permanence exposées au soleil, et sont donc d'un intérêt certain pour y installer une base et son alimentation par centrales solaires.

 

Pour le Dr Elvis, l'installation d'une base de recherches à cet endroit pourrait permettre à un pays de le revendiquer de facto pour protéger le bon déroulement de ses travaux scientifiques, même si le traité de l'espace interdit toute appropriation par une nation terrestre.

On aurait alors une situation pouvant rappeler celle de l'Antarctique... avec des enjeux encore plus grands.

 

Parmi les nations capables de s'y installer en premier dans les prochaines années, aux côtés de la Russie et des Etats-Unis ou même d'éventuelles sociétés privées, il y a bien entendu la Chine.

Les missions Chang'e passées et programmées la confortent comme un acteur incontournable de cette future course à la Lune... et de son pôle Sud.

Jean-Paul FritzJean-Paul FritzPublié le 28 décembre 2016 à 20h37

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Le bilan spatial 2016 de la Chine est plus que globalement positif. Depuis plusieurs années, le pays s'affirme comme une grande puissance, et compte bien poursuivre dans cette direction. C'est en tout cas ce que l'on peut retenir de la communication faite mardi 27 décembre par le Conseil des affaires de l'Etat, l'organisme qui chapeaute l'ensemble de l'administration chinoise.

 

On sait déjà que la Chine a des ambitions en orbite terrestre : le lancement du laboratoire spatial Tiangong 2 en septembre, occupé par deux astronautes en octobre, préfigure une future station spatiale permanente qui devrait être en service à peu près au même moment que l'ISS doit terminer sa mission (2024).

 

Dans les 5 ans qui viennent, les Chinois visent Mars, comme tout le monde. Une sonde est prévue pour 2020, avec un atterrisseur, le tout devant permettre de tester et de mettre au point les technologies qui permettraient ensuite de ramener des échantillons de sol martien, peut-être même avant la Nasa... La Chine laisse aussi entrevoir ses ambitions ultérieures, qui viseraient la ceinture des astéroïdes ainsi que Jupiter et ses lunes.

 

Les premiers échantillons lunaires depuis Apollo

 

Mais avant Mars, c'est la Lune qui est la cible du programme d'exploration de la Chine. En 2013, la république populaire faisait alunir la sonde Chang'e 3, avec à son bord un véhicule d'exploration, le rover Yutu, "lapin de jade". Non seulement cette mission a prouvé la capacité de la Chine à poser un engin en toute sécurité à la surface de notre satellite, mais elle a aussi démontré la fiabilité de sa technologie sur la durée : si la mission est aujourd'hui officiellement terminée, la sonde comme le véhicule d'exploration sont toujours en état de fonctionnement, même si le second a souffert quelques avaries affectant sa mobilité et s'est mis en hibernation.

 

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La suite, c'est dans un an. L'agence spatiale chinoise prépare en effet l'alunissage d'une nouvelle sonde,  Chang'e 5, qui devrait se poser à la surface de notre satellite fin 2017. Cette sonde va non seulement se poser sur la Lune, mais aussi collecter des échantillons de terrain et les renvoyer sur Terre. Si la mission est un succès, la Chine serait la troisième nation à rapporter du sol lunaire, après les missions soviétiques Luna et bien sûr le programme Apollo. Ce retour de rocs lunaires interviendrait aussi 45 ans après le retour du dernier humain sur la Lune avec un sac d'échantillons...

 

Une première, de l'autre côté de la Lune

 

Chang'e 4 doit suivre, en 2018. L'inversion de numéros entre les missions 5 et 4 s'explique par le fait que Chang'e 4 a été conçue comme le remplaçant possible de Chang'e 3, et que son lancement était initialement prévu en 2015. Désormais, la mission Chang'e 4 doit représenter une première dans l'histoire de la conquête spatiale : un atterrissage sur la face cachée de la Lune.

 

Il faut se rappeler que la Lune et la Terre sont en rotation synchrone, ce qui signifie que notre satellite nous présente toujours la même face. Ce qui se passe de l'autre côté ne nous est connu que depuis l'ère spatiale, lorsque les sondes soviétiques et américaines, et même les capsules Apollo, ont survolé ces terrains inexplorés. Mais aucun engin humain ne s'y est encore posé.

 

La mission de Chang'e 4 sera multiple. Il y aura bien sûr une analyse du terrain aux alentours du lieu d'atterrissage, avec des expériences menées sur certains échantillons recueillis pour "mieux comprendre l'histoire et la formation de la Lune", précisent les autorités Chinoises. Les tests permettront probablement aussi de déterminer la présence de minéraux exploitables dans le futur. Mais la sonde et son véhicule robot vont aussi effectuer des "observations radio-astronomiques à basses fréquences".

 

Il faut savoir que si la pollution lumineuse peut faire obstacle aux observations astronomiques sur Terre, il en est de même de la pollution électromagnétique pour la radio-astronomie. Les ondes que nous émettons tout autour de la planète sont en effet susceptibles de perturber les observations des radiotélescopes. De plus, l'atmosphère bloque toute une gamme d'ondes (au-dessous de 30 Mhz) : c'est donc toute une partie de l'univers qui nous est cachée à partir de la Terre. La face cachée de la Lune permet de telles observations, la Lune elle-même faisant écran devant la Terre, et sa quasi absence d'atmosphère ne présente aucun obstacle supplémentaire.

 

La Chine est experte en radio-astronomie, et vient d'ailleurs d'inaugurer le plus grand radiotélescope du monde fin septembre. Pour la mission Chang'e 4, elle a cependant fait appel à l'expertise néerlandaise pour construire l'antenne radio qui doit effectuer des observations à partir de la face cachée de la Lune. Cela pourrait nous amener de précieuses informations sur les premiers âges de l'univers et peut-être aussi aider à la recherche de vie extraterrestre, une autre priorité affichée par la Chine.

 

La course vers le pôle sud... lunaire ?

 

Les étapes suivantes sont moins officielles, mais certains responsables Chinois ne cachent pas les ambitions de leur pays. Ainsi, Wu Weiren, concepteur des missions lunaires chinoises, expliquait récemment à la BBC que la Chine veut "faire atterrir des humains et qu'ils y restent pour une longue période, et établir une base de recherche". Le communiqué du Conseil des affaires de l'Etat, lui, laisse entrevoir la première étape : des vols habités autour de la Lune, qui pourraient être la suite directe du programme de station spatiale.

 

Reste que les ambitions chinoises vers la Lune, affichées ou non, inquiètent certains observateurs. Ainsi, cet été, Martin Elvis, astrophysicien au Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, mettait en avant dans une étude les qualités de régions lunaires tels les "pics de la lumière éternelle", au pôle sud. Ces montagnes ont la particularité d'être en permanence exposées au soleil, et sont donc d'un intérêt certain pour y installer une base et son alimentation par centrales solaires.

 

Pour le Dr Elvis, l'installation d'une base de recherches à cet endroit pourrait permettre à un pays de le revendiquer de facto pour protéger le bon déroulement de ses travaux scientifiques, même si le traité de l'espace interdit toute appropriation par une nation terrestre. On aurait alors une situation pouvant rappeler celle de l'Antarctique... avec des enjeux encore plus grands.

 

Parmi les nations capables de s'y installer en premier dans les prochaines années, aux côtés de la Russie et des Etats-Unis ou même d'éventuelles sociétés privées, il y a bien entendu la Chine. Les missions Chang'e passées et programmées la confortent comme un acteur incontournable de cette future course à la Lune... et de son pôle Sud.

 

Jean-Paul Fritz

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