« Momies aliens » du Pérou : le point de vue d’une archéozoologue - 18 Mars 2017

 Lisez l’article original sur le site d’Irna !

 

Voici le texte adressé par une archéozoologue qui a pris le temps d’examiner quelques-unes des images diffusées par Thierry Jamin dans le cadre de sa campagne de financement de supposées « momies aliens » (voir Thierry Jamin et les Zitis).

 

Comme elle l’explique elle-même, il est difficile d’être très affirmatif sur des images de mauvaise qualité tirées de vidéos ; cependant, comme le lecteur pourra le constater, les incohérences anatomiques sont suffisamment nombreuses pour que l’hypothèse du fake en soit grandement renforcée… – Irna

Qui suis-je ?

 

Ayant visionné les vidéos de « Alien Project » j’ai été interpellée par les inventions ostéologiques qui ont été conçues pour l’occasion. Archéozoologue de formation, je trouve important d’amener les gens à se poser de véritables questions sur ce qu’on peut leur présenter car quiconque ayant vu les vidéos est capable d’y trouver des incohérences. Je ne prétends pas faire une étude archéozoologique du matériel présenté par les dirigeants du projet parce que je me base sur l’étude d’images issues des vidéos (et donc de moins bonne qualité que si j’avais les véritables radios sous les mains) et que je n’ai pas les « momies » sous les yeux.

 

Je tiens également à préciser que je prends sur mon temps pour faire cette courte analyse et que mon seul but dans cette affaire est d’amener les gens à réfléchir. Je ne vais donc ici que m’attarder sur les aspects ostéologiques et biologiques en proposant d’ouvrir le débat à d’autres spécialistes si débat il doit y avoir. Chaque personne devrait être à même de se forger sa propre opinion avec les bases de l’anatomie (humaine et animale) qui sont facilement accessibles sur internet.

Quels sont mes outils ?

 

D’abord je dois vous expliquer le travail des archéozoologues. Nous étudions les restes animaux issus des sites archéologiques et pour ce faire nous disposons d’un certain nombre d’ouvrages d’anatomie comparée (que le lecteur retrouvera à la fin de ce papier) et d’une collection d’ossements réels, archéologiques et actuels. Notre travail est fondé sur la reconnaissance des os et des espèces par comparaison avec toutes les espèces connues. Étant donné qu’aucune espèce extraterrestre n’est actuellement connue, il m’est ici impossible d’avoir un comparatif. En revanche nous connaissons les squelettes de chaque être vivant, humain et animal en fonction des lieux que nous étudions. Pour ma part j’ai travaillé en France sur les périodes allant de l’âge du Bronze au Médiéval. Nous avons donc l’œil exercé à la spécifité de chaque espèce et nous connaissons chaque stade d’évolution des squelettes en fonction de l’âge. Nous sommes donc capables de savoir si tel os peut s’articuler avec tel autre et s’il s’agit du même animal. La figure ci-dessous montre le type de mobilier qu’un archéozoologue peut avoir l’habitude d’avoir sous les yeux et j’invite chaque lecteur à visiter un muséum d’histoire naturelle et à lire les ouvrages cités en bibliographie pour comprendre comment nous sommes capables de comprendre ce matériel.

Je vais donc ici me baser sur les multiples incohérences biologiques et la reconnaissance de certains os pour apporter de nouvelles réflexions à ces pseudo-scientifiques. Encore une fois, ce papier ne constitue en rien une étude archéozoologique et ne contient que de rapides observations.

 

Des « momies » ?

 

Je passerai outre le fait que l’aspect des momies me fait très fortement penser à du plâtre sur du papier mâché. Avec ce genre de choses on ne voit que ce que l’on veut voir et l’on ne trouve que ce que l’on cherche.

Premièrement, jamais il ne serait venu à l’idée de véritables scientifiques de manipuler ces objets comme ces gens le font. En les trimballant de ci de là, les retournant, en approchant leur bouche, leur nez et sans se couvrir les cheveux. Des analyses ADN et C14 qui pourraient donc être biaisées et des champignons qui vont se développer sur les tissus organiques (à condition qu’il y en ait) et les dégrader. Bravo.

 

Quel matériel nous présentent les vidéos ?

 

Des momies complètes, des mains, des têtes. Le fil d’Ariane de ces types est la ressemblance entre les crânes ovoïdes et des mains à trois doigts. En revanche aucun rapport entre la main gigantesque à 3 doigts et les petites mains des individus puisque ni le nombre ni la forme des os ne correspond, nous y reviendrons.

 

Les têtes

 

L’une des vidéos montre Edson Salazar Vivanco déblatérer sur le fait que les têtes sont bien des crânes. Il est possible qu’il s’agisse de crânes au vu de la forme mais je suggérerais plusieurs choses. D’abord il peut s’agir d’assemblages de plusieurs crânes, ensuite il peut s’agir de différentes espèces et enfin il est très probable que les crânes aient été épurés des parties jugées « non alien ». A première vue les reliefs m’ont fait penser à des crânes de canidés, mais puisque ces restes ont été trouvés au Pérou, il est plutôt probable qu’il soit question de crânes de primates voir de très jeunes humains (surtout si comme le dit M. Salazar « une suture est visible »). Ce qui me fait dire cela c’est « l’arcade sourcilière » prononcée et la forme des pariétaux qui sont assez « ronds » (l’image ci-dessous présente un crâne de chimpanzé) ainsi que la partie occipitale qui semble présenter un « chignon ». Il est possible d’imaginer que les crânes aient été rabotés au niveau des maxillaires et des zygomatiques. Cette hypothèse pourrait être renforcée par le fait qu’aucune dent n’est visible sur les radios. Il n’y a donc ni maxillaires ni mandibule. Notons que la position de l’occiput est assez incongrue car placé sous le milieu du crâne et non à l’arrière, et de toute évidence la bête ne pourrait alors pas être capable de bouger sa tête comme tout animal (y compris humain).

La colonne vertébrale

 

En parlant de l’occiput cela m’amène à faire remarquer au lecteur l’absence totale de vertèbres séparées les unes des autres (du moins pour ce qui est censé constituer les cervicales) et donc l’impossibilité totale pour l’individu de se mouvoir ou même de bouger la tête. Il semblerait que la colonne vertébrale soit symbolisée par un seul os long mais je ne m’appesantirai pas sur ce détail puisque je ne le distingue que trop mal sur les images dont je dispose.

 

La cage thoracique

 

Celle-ci semble constituée de véritables côtes posées les unes en-dessous des autres sans cohérence anatomique. Elles paraissent également trop épaisses pour la stature de la chose et aucun os n’apparait au niveau du sternum. Notons également l’absence de côtes flottantes, entre autre nécessaires à la flexibilité des êtres vivants. La cage thoracique est également située bien trop bas et ne pourrait biologiquement pas laisser la place à des organes tels que les intestins. Les os sont donc trop mal imbriqués pour que la chose puisse espérer se servir de ses poumons.

 

La ceinture scapulaire (bras, épaules)

Les images ne me permettent pas de distinguer la forme des scapulas (omoplates) et des clavicules. Il est possible que les humérus (à condition qu’il s’agisse bien d’humérus et non de fémurs) appartiennent à un ou des individus n’ayant pas terminé leur croissance (je pense ici à de jeunes humains ou des primates) puisque les extrémités proximales ne semblent pas complètes et ont cet aspect particulier des individus immatures. En revanche il manque les épiphyses (surface articulaire qui se soude avec la diaphyse à un certain âge en fonction de l’espèce, CF R. Barone 1976), donc s’il s’agissait réellement de momies les épiphyses auraient dû se trouver à leur place. Il n’est pas exclu que l’extrémité distale des os ait été rognée afin de mieux correspondre aux attentes des « artistes ».

 

Ce qui est censé constituer le radius est plausible mais l’absence d’ulna (anciennement appelé cubitus) à ses côtés implique l’impossibilité pour l’individu de tourner les mains et même de plier les bras. Quant aux os du poignet ils sont tous absents et les quelques phalanges (primate ou humain) utilisées pour les mains n’autorisent pas l’individu à se servir de celles-ci. Je ne m’attarde pas sur les poignets et les mains car les incohérences me paraissent ici bien trop évidentes pour être expliquées en détail.

 

Les bras ne sont donc pas du tout plausibles puisque totalement inarticulables, depuis les épaules jusqu’aux doigts.

 

Ceinture pelvienne (hanches et jambes)

 

Ce qui constitue les hanches n’est qu’un conglomérat de choses les unes sur les autres alors que les os pelviens de chaque être vivant sont parfaitement distincts et identifiables. Je ne pense pas que les os soient ceux de jambes. D’abord les fémurs, on voit ici clairement qu’ils appartiennent à des individus immatures car cette fois les épiphyses sont présentes mais elles semblent mises approximativement. Ensuite, s’agit-il réellement de fémurs ? Je n’en crois rien et je pense même que la jambe droite est un humérus (humain ou primate). Les têtes fémorales chez les bipèdes sont normalement bien plus marquées que ce que laissent voir les radios, afin que les fémurs puissent s’articuler correctement avec les os pelviens et ainsi autoriser la bête à se mouvoir. Les images dont je dispose ne me permettent pas d’affirmer mes dires mais je pense que l’os de la jambe droite de l’individu est différent de celui de la jambe gauche. Il est possible que l’on ait ici des os d’individus différents car la taille et la forme des diaphyses n’est pas la même et les épiphyses semblent à un stade de « soudure » différent pour la « jambe » droite et la « jambe » gauche. Les « genoux » ne ressemblent à rien de connu et cela pour la simple et bonne raison que de telles articulations à ce niveau n’autorisent pas un individu à simplement se tenir debout. De plus les patella (rotules) sont indiscernables.

Je distingue trop mal les tibias pour en parler mais nous noterons l’absence de fibula qui est improbable si la bête avait voulu se servir de ses pieds. Les os des pieds et des chevilles tels qu’ils semblent agencés ne permettent pas à l’individu de faire ne serait-ce qu’un pas et là j’invite les lecteurs à regarder et tâter leurs pieds pour se faire une idée. Pour ceux persuadés du caractère reptilien de la chose je les invite à regarder de plus près les squelettes de crocodiles. Leurs pieds sont agencés de manière à être totalement articulables avec le tibia et la fibula et c’est pour cette raison que les os sont « à plat ». Imaginer de tels pieds pour un être bipède est impossible (surtout sans fibula) car aucune flexibilité n’est permise et le poids du corps écraserait simplement le pied. Aïe.

 

Conclusion sur la momie :

 

Biologiquement incompatible même en considérant toutes les formes de vie possible, et ce quelles que soient les conditions atmosphériques (avec ou sans gravité). Je pense que tous les os sont issus de très jeunes individus et proviennent d’humains ou de primates. L’immaturité des sujets est un problème pour déterminer l’espèce puisque les os ne sont pas complètements formés. En tout cas je pense que ces os viennent de différents individus d’âges différents et de milieux différents. Il est à noter que l’état de décomposition de chaque os n’est certainement pas le même et que ces décompositions n’ont pas été effectués dans les mêmes conditions.

 

Effectivement, les épiphyses si elles ne sont pas encore soudées à la diaphyse sont reliées par du cartilage qui disparaît après les tissus mous. Ainsi, si le cartilage disparaît l’épiphyse et la diaphyse ne sont plus reliées, l’épiphyse peut alors être perdue ou avoir l’air d’un simple caillou lors d’une fouille et être laissée de côté (hors contexte de momification où tous les os restent en connexion). Ainsi, si les os représentant ici les humérus ne possèdent pas d’épiphyse cela veut dire qu’ils ont été agencés après décomposition totale des corps. Tandis que pour les os représentant les fémurs, la décomposition ou le contexte ont permis de conserver les épiphyses. J’invite le lecteur à aller jeter un œil aux « fermes des corps » qui ont permis de faire avancer la recherche de manière considérable dans les processus de décomposition des corps.

 

La grande main :

 

Bon je pense que tout le monde aura remarqué l’incohérence totale entre le nombre d’os, leur taille (les petits derrière les grands sans logique anatomique probable) et le surnombre d’os cassés vers ce qui s’apparenterait aux métacarpes.

Les trois premières phalanges pourraient être celles d’humains adultes, le reste des os est constitué de phalanges et métapodes agencés de manière peu probable et que je suppose venir d’humains également. Les os cassés semblent avoir une densité différente des autres et ce parce qu’il s’agit d’os longs et non d’os courts (comme les métapodes et les phalanges). Ensuite parmi ces os longs il semblerait que nous retrouvions des ulnas (certainement humaines d’individus adultes) en vrac (os du bras) et des phalanges. Je pense qu’il s’agit ici d’os humains, car les phalanges et les métacarpes sont assez courts et les corticales assez peu épaisses par rapport à celles de primates par exemple. A première vue on pourrait penser à des os d’oiseaux car ceux-ci sont creux et tubulaires, mais ici la radio laisse penser qu’il y a du spongieux dans tous les os ce qui est le propre des os humains.

 

Conclusion :

 

La détermination des os n’est pas aisée sur ce genre de matériel mais les incohérences anatomiques et biologiques sont bien trop nombreuses pour espérer que ces chimères aient vraiment existé. De plus nous avons pu montrer que certains os sont manquants et rendent donc l’hypothèse de momies totalement impossibles. La reconnaissance de certains os montre également qu’il n’y a pas de mystère dans la confection de ces momies.

 

A présent il serait de bon ton de se poser les bonnes questions, à savoir, est-ce nécessaire de faire des analyses aussi coûteuses que celles ADN et C14 quand des spécialistes sont capables, à l’œil nu, de reconnaitre le fake dans cet étalage de fausses preuves ? Quelles analyses moins coûteuses et plus cohérentes auraient pu être réalisées sur ces objets ? D’où proviennent les os qui constituent les « momies » ?

 

Je vais revenir sur un dernier point. Le fait qu’il s’agisse ici d’os d’individus immatures (individus dont la croissance n’est pas terminée) dont certains ont des épiphyses soudées et d’autres non implique des degrés de décomposition différents. Ces types ont-ils utilisé des individus récents ou des os issus de contextes archéologiques ? Je laisse au lecteur le soin de tourner et retourner ces questions dans sa tête puisque les seules personnes à même de leur apporter les réponses sont les créateurs des « momies ».

Bibliographie

– BARONE R., 2010, Anatomie comparée des mammifères domestiques, 5e édition, Paris : Vigot, tome 1.

– CHAIX L., MENIEL P., 2001, Archéozoologie : les animaux et l’archéologie, Paris : édition Errance.

– SCHMID E., 1972, Atlas of animal bones for prehistorians, archaeologists and quaternary geologists, Amsterdam ; Oxford ; New-York : Elsevier Publishing Company.

– WILSON B., GRIGSON C., PAYNE S., 1982, Ageing and sexing animal bones from archaeological sites, s.l. : B.A.R.

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