L’année 1947 marque le début de la guerre froide et des soucoupes volantes

Près de Bernacillo (Nouveau-Mexique), le 18 avril 1965, prise de vue de soucoupe volante réalisée par Paul Villa qui aurait rencontré les trois occupants. Photo Mary Evans. Rue des archives

 

En Ecosse ou à Moscou, en Australie ou au Pérou, des hommes ont assuré avoir vu des «cigares volants» ou rencontré des êtres de 1 m 10. L’essayiste Bruno Fuligni, qui en a fait un Atlas, montre que ce mythe moderne s’est largement répandu dans la seconde moitié du XXe siècle.

 

 

Fin décembre, le New York Times dévoilait l’existence d’un programme secret du Pentagone chargé d’enquêter entre 2007 et 2012 sur des phénomènes aérospatiaux inexpliqués.

 

En France aussi, le Groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (Geipan), rattaché au Centre national d’études spatiales (Cnes), est chargé depuis quarante ans de recueillir tous les témoignages sur ces étrangetés.

 

Après avoir écrit une Histoire amusée des promesses électorales (Tallandier, 2017), Bruno Fuligni dresse aujourd’hui un Atlas des zones extraterrestres (Arthaud).

 

De «l’étoile de Marliens», dans un champ de trèfles de Côte-d’Or, au cigare volant d’Antananarivo, à Madagascar ; de l’enlèvement des époux Hill (Franconia, Etats-Unis) au cosmodrome de Baïkonour, l’essayiste dresse une histoire des ovnis et autres soucoupes volantes, qui catalysent les angoisses de la guerre froide.

 

Comment cette idée d’un atlas des zones extraterrestres vous est-elle venue ?

 

Je ne suis pas un ufologue [qui étudie les ovnis, ndlr].

Je n’ai jamais vu de soucoupe volante, je n’ai pas été abducté [enlevé par des extraterrestres ], je ne suis le gourou d’aucune secte.

 

Mais j’ai travaillé ce sujet en historien, en me penchant sur les sources.

 

Ce thème représente aujourd’hui plus de soixante-dix ans d’archives. Les premiers ovnis sont en effet observés par le pilote d’avion Kenneth Arnold en 1947, aux Etats-Unis, près du mont Rainier.

 

C’est à partir de ce moment que s’est forgée l’expression «soucoupe volante» et qu’apparaissent toutes les théories «soucoupistes» - le terme est utilisé de façon plutôt péjorative.

 

Il y a de tout dans ces théories, certaines requalifiant en termes ufologiques des phénomènes beaucoup plus anciens.

 

La croyance dans des créatures extraterrestres existe-t-elle avant la Seconde Guerre mondiale ?

 

Non, mais la théorie dite des «anciens astronautes» donnera lieu à des réinterprétations à propos de certains sites mystérieux.

 

C’est le cas du site de Valcamonica, en Italie, où certains ont voulu voir «nos ancêtres, les "extraterrestres"» dans des peintures rupestres datant du VIIIe millénaire avant notre ère : deux hommes en lévitation semblent avoir la tête recouverte d’un casque de scaphandre…

 

C’est seulement après 1947 que l’on revisite certaines énigmes et que l’on prétend par exemple que, sans le concours des extraterrestres, les pyramides d’Egypte n’auraient pas pu être construites.

 

Avant la Seconde Guerre mondiale, ces sites n’étaient considérés que comme des mystères.

 

Au XVIIIe siècle, le jeune Goethe a ainsi décrit «l’amphithéâtre illuminé», qu’il est sûr d’avoir vu à Leipzig, en Allemagne.

 

Les écrivains s’interrogent bien sûr depuis longtemps. Ainsi Fontenelle, au XVIIe siècle, écrit sur les habitants de la Lune, les fameux «Sélénites», dans ses Entretiens sur la pluralité des mondes.

 

Ou plus tard Jules Verne, l’écrivain américain Charles Fort et le Britannique H. G. Wells…

 

Mais nous restons dans le domaine de la littérature : c’est la fiction qui permet d’explorer les hypothèses les plus audacieuses.

 

Ce qui change en 1947, c’est qu’on ne suppose plus, mais on témoigne, on prétend avoir vu des «engins extraterrestres».

 

On bascule du côté de la croyance.

 

On sort de l’hypothèse scientifique selon laquelle, statistiquement, il pourrait y avoir d’autres formes de vie dans l’univers.

Hypothèse déjà émise par Epicure et que l’on retrouve aujourd’hui au sein du SETI Institute (Search for Extraterrestrial Intelligence, créé en 1984 par la Nasa, en appui d’un programme lancé en 1960).

 

Pourquoi l’année 1947 est-elle «un tournant» ?

 

Sûrement parce plusieurs témoignages se suivent sur une période assez courte.

Juste après le mont Rainier a lieu le fameux crash à Roswell.

 

Selon l’US Air Force, un ballon-sonde s’est écrasé ; selon les ufologues, il s’agit d’une visite d’extraterrestres.

 

Puis, en 1954, on assiste à une vague d’observations dans le monde entier.

 

Le mythe est né, et une multitude d’adeptes est prête à y croire.

 

Des sectes vont d’ailleurs utiliser ce besoin de croyance, d’extraterrestre, pour se structurer et fédérer en grand nombre.

 

C’est ce phénomène qui est passionnant dans l’histoire des idées.

 

Pourquoi un phénomène qui est d’abord littéraire devient-il, à ce moment-là, un tel enjeu de croyance ?

 

Je pense qu’on ne peut pas ignorer le contexte de la guerre froide.

 

L’année 1947 marque à la fois le début de ce conflit et celui des premières observations de soucoupes volantes. Il y a forcément un lien avec l’avènement de l’arme nucléaire.

 

Nous sommes juste après Hiroshima et Nagasaki.

 

Certains ufologues convaincus prétendent d’ailleurs que ce sont les explosions nucléaires de la fin de la Seconde Guerre mondiale qui ont attiré l’attention des extraterrestres sur notre planète.

 

Ils viendraient ensuite soit pour nous sauver de notre inconscience, soit pour nous détruire, parce que nous devenons dangereux.

 

Des psychiatres, comme Carl Gustav Jung, y verront la marque d’une culpabilité : avec l’émergence de ce «mythe moderne», on ne cherche plus une intercession auprès de Dieu mais, toujours du côté du ciel, auprès de civilisations plus avancées que la nôtre et donc capables d’arbitrer nos conflits humains.

 

 

Ce sont justement les positions de la IVe Internationale posadiste?

 

Un syndicaliste et trotskiste argentin, Juan Posadas, de son vrai nom Homero Rómulo Cristalli Frasnelli, va développer le versant marxiste de l’ufologie : le rêve d’émancipation sera intergalactique ou ne sera pas.

 

Il n’a jamais prétendu avoir vu des extraterrestres, il se situe dans la pure logique du matérialisme dialectique : rien ne permet d’exclure, a priori, l’existence de civilisations extraterrestres et si jamais elles parviennent à entrer en contact avec les Terriens, c’est qu’elles sont beaucoup plus avancées que la nôtre.

 

Elles ont donc dépassé la lutte des classes et connaissent déjà l’avènement d’une société communiste.

 

Elles ne peuvent dans ce cas que nous aider à évoluer.

 

La théorie posadiste est étonnante : elle réinvente presque le christianisme, la justice sur Terre résultant d’une intervention céleste. Le ciel représente des civilisations lointaines et bienveillantes. L’ufologie permet donc de catalyser les angoisses de la guerre froide, et ce dans les deux blocs.

 

 

Sur quelles archives avez-vous travaillé ?

 

Sur les exposés d’institutions scientifiques tels que le SETI, sur les nombreux rapports de gendarmerie qui sont conservés au Service historique de la Défense.

 

Ces derniers sont très détaillés.

 

L’URSS disposait également d’observations archivées par la Défense ou par les services secrets.

 

Les militaires ne croyaient pas nécessairement aux soucoupes volantes mais pensaient que les observations faites pouvaient indiquer des actes d’espionnage.

 

Les gendarmes de Morsbach, en Moselle, ont ainsi pris très au sérieux la déposition de Charles Bou, quand, en octobre 1954, l’homme leur a assuré avoir vu un engin lumineux de forme ovale sur la route.

Après le signalement de certains atterrissages, on prenait des photos du site, on prélevait méthodiquement des échantillons de terre.

Des politiques ont aussi tenté de jouer sur ces croyances.

 

Lors de la dernière campagne présidentielle aux Etats-Unis, les deux principaux candidats se sont engagés à ouvrir les archives sur le sujet.

 

Même si ces archives ne prouvent rien : elles ne font que consigner des observations et des témoignages mais cela suscite la curiosité de beaucoup d’électeurs…

 

«Agroglyphe», «boules vertes», «elohim»… L’ufologie a son langage, un lexique est proposé en fin d’ouvrage…

 

C’est un savoir en soi qui a produit un vocabulaire assez riche et précis.

 

Ainsi, il ne faut surtout pas confondre «ovni» et «soucoupe volante»…

 

Le premier terme est scientifique et reste dans le doute, alors que le second est du domaine de la croyance puisque cet objet volant est déjà identifié comme «extraterrestre».

 

Dans 97 % des cas d’observation d’ovni, une explication rationnelle finit par apparaître : des ballons météorologiques, des météorites, des débris de satellites rentrant dans l’atmosphère…

 

Il faut noter aussi qu’il y a surtout des témoignages sur les ovnis : les signalements de «rencontres» ou de «contacts» avec les extraterrestres ou «d’abductions» sont extrêmement rares.

 

Et aujourd’hui, la guerre froide est terminée depuis longtemps, que reste-t-il de tous ces témoignages ?

 

Depuis les années 90, inversant le trajet parcouru depuis le début de la guerre froide, l’ufologie a regagné les territoires de la fiction.

Elle a toujours autant de succès mais plutôt au cinéma, en bande dessinée…

C’est une question qui passionne toujours car elle nous renvoie à nos propres limites.

Et pas seulement technologiques : un film récent, Premier Contact, met en scène une linguiste questionnant les modes d’interaction que les humains peuvent trouver en présence d’une altérité, quelle qu’elle soit finalement.

 

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