Qui est Pierre Lagrange, sociologue des sciences, qui a publié sur Roswell, les extraterrestres, les pseudosciences, et les Ovnis ? puis débat télévisé de 1974

Pierre Lagrange  est un sociologue des sciences français, chercheur associé au Laboratoire d'anthropologie et d'histoire de l'institution de la culture. Il enseigne à l'Université de Lille après avoir été enseignant à l'École d'Art d'Avignon.

 

Son parcours est le suivant :

 

-Etudes de psychologie à l'Université Paris-5 René Descartes,

- 1986 :  Centre de Sociologie de l'Innovation (CSI) à l'Ecole des Mines de Paris, travail dans le cadre de vacations CNRS et de contrats.

- 1990 le diplôme de l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales)

- 1991, un DEA (Diplôme d'Etudes approfondies) sous la direction de Luc Boltanski au sein du Groupe de Sociologie Politique et Morale (EHESS).

- 1990 et 1992, il réalise sous la direction de Bruno Latour, une étude sociologique sur les parasciences dans le cadre d'un contrat passé entre le Ministère de la Recherche et l'Ecole des Mines [Armines])

- 1992, il entame une thèse sur la sociologie des parasciences sous la direction de Bruno Latour à l'EHESS.

- 1997,travaille pour Canal+ comme consultant dans le cadre de la préparation d'un programme consacré aux ovnis (la Nuit extraterrestre, diffusée en juin 1997)

- Depuis cette date, il a donné des cours, séminaires et conférences dans diverses universités (Lausanne, Genève, Avignon, Paris 8 etc).

- Diverses études réalisées dans le cadre de contrats (CNRS, CNES),

- 2001 un colloque sur les parasciences pour l'Université de Genève

- 2002, il est devenu chercheur associé au sein du LAHIC

- 2006, membre du Comité d'experts du GEIPAN (Groupe d'Etudes et d'Informations sur les Phénomènes aérospatiaux non identifiés) du CNES (Centre National d'Etudes spatiales).

- 2009, il soutient sa thèse à l'EHESS dans le cadre d'un doctorat en anthropologie sociale sous la direction de Daniel Fabre

-  Depuis 2011, il enseigne l'anthropologie sociale à l'Ecole d'Art d'Avignon.

 

Thèmes de recherche 

 

Il s'intéresse en autres aux  controverses scientifiques sur des objets au statut marginal, comme les ovnis, les phénomènes parapsychologiques, les animaux mystérieux, ou plus généralement certaines controverses technologiques actuelles (par exemple sur certains effets difficiles à évaluer, effets des lignes à haute tension, des portables etc).

Il s'agit de discuter les explications souvent rencontrées dans les publications sociologiques sur les « croyances » : explications au sujet de l'influence du contexte ou de la culture (la guerre froide et la science-fiction auraient selon de nombreux sociologues provoqué la "rumeur visionnaire" des soucoupes).

 

Roswell

 

Dans un livre consacré à "la rumeur de Roswell", il cherche à démontrer que rien ne permet d'accuser d'irrationalité ceux qui croient à la thèse de la chute d'une soucoupe en 1947 à Roswell, leur raisonnement reposant selon lui sur les mêmes bases que celui qui ne croit pas à cette thèse.

 

Dans un autre livre, consacré à l'émission d'Orson Welles sur l'invasion de la Terre par les martiens diffusée en octobre 1938, Lagrange considère que la vraie question

n'est pas de savoir pourquoi les gens ont cru à l'émission mais de s'interroger sur la construction collective de notions comme celles de "panique", d'"hystérie de masse" et sur la façon dont cette émission et les réactions qu'elle a suscitées ont été mobilisées pour renforcer et diffuser l'image d'un public naïf et crédule.

 

"Pseudosciences"

 

La question des « pseudosciences » présente pour lui un autre intérêt lié à la multiplication, depuis quelques décennies, des débats publics sur certaines questions scientifiques ou techniques (par exemple les effets des lignes à haute tension, les conséquences de certains rayonnements, et tout dernièrement les compteurs Linky et la 5G...).

 

Ces phénomènes présentent en effet des caractéristiques assez proches des phénomènes paranormaux : difficulté à établir la preuve, confrontation plus ou moins brutale entre l'expertise scientifique et les témoignages de « victimes », etc.

 

Selon lui, la discussion a longtemps été réduite à une opposition entre la pensée scientifique et la pensée magique.

 

Et la solution proposée a souvent consisté à demander aux sociologues d'expliquer « pourquoi les gens croient à des choses qui n'existent pas ».

 

Si cette approche pouvait sembler justifiée dans le cas de l'étude des seuls phénomènes paranormaux, en oubliant les arguments scientifiques qui leur sont opposés, Lagrange en voit les limites lorsqu'on réintroduit dans la description du débat l'ensemble des acteurs et des arguments ("croyants" et "sceptiques"), ou lorsqu'il s'agit de rendre compte des débats qui se multiplient aujourd'hui à propos des risques technologiques.

 

On assiste en effet de plus en plus à une remise en cause des experts et à la multiplication d'acteurs nouveaux : associations de malades (exemple la panique de la nouvelle formule du Lévothyrox, lanceurs d'alerte, etc..)

 

Les critères de ces experts ne peuvent donc être utilisés pour rendre compte de la controverse, ils doivent au contraire être décrits et expliqués tout autant que les prises de position des non experts.

 

Lagrange conclut que les pseudosciences n'existent pas et que l'irrationnel est une invention, car

« pour qu'il y ait des parasciences, il faudrait qu'il y ait des sciences telles qu'on en décrit dans les livres d'épistémologie et les dictionnaires rationalistes. Des sciences dures, rationnelles, insensibles aux modes et aux tendances de la société, à la pensée droite et sans bavure. Or ces sciences, c'est désormais certain, n'existent pas ».

 

Il propose donc, comme cela est fait habituellement dans l'analyse des débats scientifiques (ondes gravitationnelles, neutrinos, etc), de faire évoluer les principes d'analyse de ces sujets aux marges des sciences et techniques.

 

Lagrange s'est interrogé sur les conséquences de cette évolution dans le chapitre méthodologique de sa thèse de doctorat.

Conséquences doubles.

D'une part, il semble que l'idée d'étudier dans les mêmes termes, dans le même cadre d'analyse, les propos des acteurs scientifiques et non scientifiques soit pour beaucoup de sociologues une véritable tache aveugle.

 

Plongés eux-mêmes dans un univers de références scientifiques, ils n'imaginent même pas qu'il soit possible d'adopter une quelconque distance méthodologique avec cet univers.

Et cela conduit les sociologues à maintenir les "croyances" qu'il étudient à bonne distance, en les choisissant dans d'autres cultures éloignées dans l'espace ou dans le temps.

 

Pourtant, des "croyances" comme les ovnis ou le paranormal présentent un intérêt tout particulier, celui d'obliger le chercheur à élaborer un langage qui soit capable de traiter à la fois ce qu'on qualifie de savoir et ce qu'on qualifie de croyances (deux sujets renvoyés traditionnellement à deux types différents de spécialistes, les épistémologues et les sociologues de la croyance, qui ont recours à deux types d'explications diamétralement opposées, internalistes pour les sciences, externalistes pour les croyances).

 

Jusqu'ici la plupart des chercheurs en sciences sociales se sont intéressés à des croyances sans rapport avec les sciences, croyances au sein de cultures non occidentales, croyances religieuses, etc.

 

Du coup, la comparaison avec les savoirs scientifiques pouvaient être ignorée.

 

En choisissant d'étudier des "croyances" actuelles, mêlées de controverses scientifiques, les sciences ne peuvent être laissées de côté. De nouvelles contraintes apparaissent, liées au type d'explication à fournir.

 

Cette démarche a une deuxième conséquence, celle de ne plus mettre le chercheur à l'abri des acteurs qu'il étudie.

 

Lagrange constate qu'un ethnologue qui étudiait autrefois les « primitifs » courait rarement le risque d'être contredit par ces derniers.

Dans les années 1970 encore, lorsque Jeanne Favret-Saada étudiait la sorcellerie en France, elle ne risquait guère d'être confrontée aux paysans victimes de sorts lorsqu'elle donnait ses cours en amphi.

 

Aujourd'hui, constate-t-il, les sociologues doivent souvent répondre aux questions que les acteurs leurs retournent à propos de leurs analyses, que ce soit dans les débats sur les risques technologiques ou dans les controverses sur les ovnis ou les phénomènes paranormaux.

 

 

Publications principales (Auteur ou coauteur)

 

- La Rumeur de Roswell, Paris, Éditions la Découverte, 1996.

 

- avec Clarisse Le Friant et Guillaume Godard, Sont-ils parmi nous ?

  La nuit extraterrestre, préface de Michel Royer, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes   Gallimard Hors série », 1997.

 

- avec Hervé Drévillon, Nostradamus. L'éternel retour, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes Gallimard / Histoire » (no 433), 2003.

 

- (dir.), Noirs complots, Les Belles Lettres, 2003 - anthologie de nouvelles de fantastique et de science-fiction consacrée à des complots de fiction

 

- La guerre des mondes a-t-elle eu lieu ?, Paris, Robert Laffont, 2005.

 

- Ovnis. Ce qu'ILS ne veulent pas que vous sachiez, Paris, Presses du Chatelet, 2007,

est consacré également au développement, en France, de discours à propos de prétendus complots destinés à cacher au public la "vérité" sur les ovnis, discours qui ne sont pas seulement développées par des groupes d'ufologues "marginaux", mais aussi par des ingénieurs et des militaires et par les rationalistes pour lesquels il existe un complot contre la raison.

Ces rationalistes, qui combattent des croyances comme celles de Roswell, sont bien souvent les adeptes de la théorie d'un complot contre la Raison, contre le savoir. Ils réactualisent alors la vieille théorie du complot de l'Église contre Galilée qui aurait visé à empêcher la diffusion du savoir scientifique.

 


 

Pierre LAGRANGE commente  sur l'astronome Pierre GUERIN :

 

“En 1972, Guérin décide de faire son “coming out” soucoupiste en publiant un long article dans le mensuel Science et Avenir. C’est grâce à François de Closets, qui dirigeait alors ce magazine, qu’il a pu accéder ainsi aux pages de Science et Avenir. Et c’est la publication de cet article qui conduira au débat sur Actuel 2 en 1974, au moment où les ovnis redeviennent très populaires (une importante vague d’observations d’ovnis a débuté l’année précédente aux Etats-Unis). ”

 

 

Et donc voici “Le dossier des soucoupes volantes”: débat avec l’astronome Pierre Guérin (Actuel 2, 1974)

 

Après avoir développé les thèmes de recherche de Pierre Lagrange nous comprenons sont intérêt pour ce document important pour comprendre l’histoire des débats sur les ovnis.

 

Il s’agit d’un débat télévisé avec l’astronome Pierre Guérin en 1974 le cadre de l’émission Actuel 2 présentée par François de Closets sur Antenne 2.

 

Cette émission, un des “classiques” de la télévision française sur ce sujet, est disponible en huit parties sur Youtube (enfin, presque… voir plus bas).

 

 

Quelques éléments de contexte pour comprendre l’intérêt de ce débat.

 

Mais d'abord qui est Pierre GUERIN ? 

 

Pierre Guérin était astronome, maître de recherche au CNRS et à l’Institut d’Astrophysique de Paris (IAP). Dès le début des années 1950, il s’intéresse aux soucoupes volantes et, à la différence de beaucoup de ses collègues, aborde le sujet en se montrant favorable à l’idée qu’il puisse s’agit d’un phénomène nouveau et doté d’intention (ou pour résumer, d’origine extraterrestre, tout le problème étant de définir ce qu’on entend par “extraterrestre”).

 

Il entre alors en contact avec Aimé Michel, un journaliste qui a publié dès 1954 un premier livre sur le sujet, Lueurs sur les soucoupes volantes (Mame), et qui deviendra un des acteurs les plus importants de ce débat, notamment en développant avant les chercheurs du domaine SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence), les principaux arguments qui composent ce qu’on appelle “principe de banalité” et “paradoxe de Fermi”.

 

Mais Pierre Guérin, qui est alors un jeune astronome en train de faire sa thèse et de commencer une carrière au CNRS, ne peut pas faire état publiquement de son intérêt pour les ovnis, considérés comme une “croyance populaire irrationnelle” dans un milieu scientifique dominé par l’Union rationaliste (UR) (le directeur de thèse de Pierre Guérin, Evry Schatzman, est devenu plus tard président de l’UR et a toujours été violemment opposé à des sujets comme les ovnis, auxquels il consacrera de nombreux articles).

 

Pourtant, l’intérêt de Guérin pour le sujet est connu d’un certain nombre de collègues et, chose assez surprenante, le biologiste Ernest Kahane, alors une des chevilles ouvrières de l’UR, lui demandera même de rédiger l’entrée “soucoupes volantes” pour le Dictionnaire rationaliste qui paraît en 1965.

 

L’entrée est signée par Kahane mais c’est Guérin qui en est donc l’auteur.

 

A la fin des années 1960, un petit groupe d’astronomes se réunit assez régulièrement à Meudon pour discuter des questions liées à la vie extraterrestre.

 

Les ovnis sont abordés lors de ces réunions.

 

En 1970, les astronomes François Biraud et Jean-Claude Ribes, publient un premier livre consacré à cette question de l’existence de vie et de civilisations extraterrestres, Le Dossier des civilisations extraterrestres (Fayard, réédité plus tard chez J’ai lu. Beaucoup de gens ignorent qu’après l’édition de poche chez J’ai lu, Fayard publiera une seconde édition de ce livre contenant quelques ajouts, qui sont donc absents de l’édition de poche). Ils consacrent un chapitre aux soucoupes.

 

En 1972, Guérin décide de faire son “coming out” soucoupiste en publiant un long article dans le mensuel Science et Avenir.

 

C’est grâce à François de Closets, qui dirigeait alors ce magazine, qu’il a pu accéder ainsi aux pages de Science et Avenir.

Et c’est la publication de cet article qui conduira au débat sur Actuel 2 en 1974, au moment où les ovnis redeviennent très populaires (une importante vague d’observations d’ovnis a débuté l’année précédente aux Etats-Unis).

 

1974 marque véritablement un tournant dans l’histoire du sujet. L’intérêt des médias pour le sujet va générer un très fort intérêt au sein de la population. De très nombreuses personnes vont rejoindre les groupes ufologiques existants ou créer des groupes. On assiste à une augmentation de l’intérêt pour le phénomène au sein de la population, qui va se prolonger jusqu’à la fin 1979.

 

Le débat télévisé 

 

Présenté par De Closets, le débat oppose Pierre Guérin à plusieurs journalistes:

 

– Michel Rouzé, un journaliste scientifique également militant rationaliste et fondateur de l’AFIS, Association française pour l’Information scientifique, dont le bulletin sera le lieu d’une polémique entre Rouzé et Guérin.

 

– Robert Clarke, longtemps journaliste scientifique à France Soir et qui créera plus tard l’émission “L’Avenir du futur” sur TF1.

 

– Gérard Bonnot de L’Express, autre journaliste très rationaliste.

 

– Et enfin Jean-Claude Bourret, journaliste à France Inter qui venait de consacrer une série d’émissions aux ovnis avec Claude Villers sur France Inter. Bourret était le seul journaliste favorable à l’existence des ovnis. Le contenu des émissions de France Inter sera publié quelques mois plus tard sous forme d’un livre, La Nouvelle vague des soucoupes volantes, chez France-Empire. On y trouve évidemment plusieurs interventions de Pierre Guérin.

 

Par la suite, Pierre Guérin continuera de s’intéresser aux ovnis. Il publiera notamment un autre texte très développé sur “le problème de la preuve en ufologie” dans le second livre publié en 1976 par Jean-Claude Bourret (Le Nouveau défi des OVNI).

 

 

A noter sur la table à la droite de Pierre Guérin, un épais volume rempli de signets. Il s’agit de l’édition de poche du fameux Rapport Condon, l’étude dirigée par le physicien américain Edward U. Condon qui avait accepté de diriger une étude sur le sujet pour le compte de l’US Air Force. Condon et son équipe publient un rapport de mille pages en 1969 qui conclue à l’absence d’intérêt scientifique des ovnis.

 

Deuxième partie:

 

Ce deuxième extrait a malheureusement été bloqué par Youtube à la demande de l’INA. Une attitude que je trouve problématique pour le moins. Rappelons que ces archives proviennent des chaînes télévisées publiques et donc payées par nos impôts. Il s’agit d’archives publiques au même titre que les archives de la BNF ou des Archives nationales ou départementales.

 

Pourtant l’INA fait commerce de ces documents et ne permet pas au public, ni aux chercheurs d’ailleurs, de pouvoir y accéder, à moins d’être fortuné. Il y a là une exception qui semble pour le moins difficile à justifier. On peut en prime supposer que si les autres extraits n’ont pas été bloqués par l’INA, c’est simplement parce que l'”algorithme tueur” de Youtube ne les a pas repéré.

 

 

Ce second extrait est composé en grande partie d’un documentaire réalisé pour une autre émission de télévision d’Antenne 2 et qui évoquait l’actualité des ovnis.

 

Troisième partie:

 

 

Quatrième partie :

 

A noter au cours de ce quatrième extrait, un échange avec Michel Rouzé à propos de l’étude publiée par un psychologue, Joost Merloo, sur le “syndrome ovni” (publiée en français en 1967 et en résumé dans le JAMA en 1968). En fait, dans sa réponse, Pierre Guérin se trompe et résume une autre étude, publiée par le psychologue américain Donald I. Warren, sur le prétendu statut social incohérent des témoins d’ovnis (Status Inconsistency Theory and Flying Saucer Sightings) publiée en 1970. Mais Rouzé ne relève pas l’erreur.

 

 

Cinquième partie :

 

 

Sixième partie:

 

 

Septième partie:

 

Huitième et dernière partie:

 

A noter que François de Closets continuera de témoigner un certain intérêt aux ovnis, mais sans s’investir particulièrement dans son étude. Il les évoquera dans son livre La France et ses mensonges en 1977 en s’étonnant du tabou qui règne autour de ce sujet ou de la parapsychologie qui est alors aussi l’objet de nombreux débats (les années 1970 sont la période pendant laquelle des personnages comme Uri Geller vont devenir très populaires et où la parapsychologie va conduire à la publication d’articles jusque dans une revue aussi prestigieuse que Nature).

 

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