Le Debrief Maybe Planet - NOPE, Top ou Flop ?

 

NOPE un film de Jordan Peele à propos d'un envahisseur extraterrestre 

 

Comme dans Us, son film précédent, Jordan Peele refuse de tout expliquer dans Nope.

 

Le réalisateur préfère laisser quelques mystères planer, afin que chacun les interprète comme il le souhaite, selon les sujets que chaque élément lui inspire. Lorsque le générique de fin défile, nous ne savons donc pas d'où venait ce vaisseau qui s'était révélé être une créature extraterrestre, ni le pourquoi du comment de cette chaussure qui tient debout toute seule sur le plateau de la sitcom "Gordy et compagnie".

 

Et n'y a-t-il pas deux manières de lire le tout dernier plan du troisième long métrage de Jordan Peele ?

 

Après avoir attiré le monstre dans un piège au sein du parc d'attractions de feu Ricky 'Jupe' Park (Steven Yeun), tout en réussissant à le prendre en photo, Emerald (Keke Palmer) ferme les yeux et semble prier pour que son frère OJ (Daniel Kaluuya) soit présent lorsqu'elle les rouvre.

 

Vu en mauvaise posture lorsqu'il tentait de faire diversion pour que la créature ne s'en prenne pas à sa sœur, il réapparaît tel un cow-boy, dans la fumée et le décor de western du parc, sur une musique qui aurait sa place dans un long métrage de Sergio Leone. Tout est bien qui finit bien donc ? Pas sûr, car le plan peut s'interpréter de deux façons.

 

OBJET BIEN VIVANT

 

Comme Nope dans son ensemble, qui peut très bien s'apprécier au premier degré (l'histoire d'une famille confrontée à un envahisseur extraterrestre) sans que l'on ne se penche sur les thèmes qu'il développe grâce à cette allégorie, son dernier plan peut tout à fait être pris pour ce qu'il semble être : un happy end. Après avoir promis qu'il serait toujours là pour veiller sur sa sœur, grâce à ce geste qu'ils ont depuis l'enfance, OJ a tenu parole en échappant à l'objet volant qui a fini par être identifié.

 

Et il fait bien les choses, dans une posture héroïque qui lui permet de se réapproprier ce dont son arrière-arrière-arrière-grand-père avait été dépossédé lorsque l'Histoire n'a retenu que les images d'un cheval enregistrées par Eadweard Muybridge, l'un des précurseurs du cinéma, et non le jockey noir qui était sur l'animal. De la même manière que le western a trop souvent écarté les cow-boys afro-américains de ses récits (donc de l'Histoire de l'Amérique telle que racontée par Hollywood).

OJ n'aurait ainsi pas seulement triomphé de l'extraterrestre qui menaçait leur propriété, mais également de la réappropriation de son histoire familiale ainsi que de celle de l'invisibilisation des Afro-Américains dans le passé iconographique de l'Amérique. En refusant notamment d'être la victime que beaucoup de films d'horreur auraient faite de lui, avec ce gimmick, "Nope", qui fait écho au titre.

 

Ce faisant, le dernier plan renverrait au premier, celui de la chaussure verticale qui ne nous est jamais expliquée mais qui apparaît clairement comme un exemple de "mauvais miracle" dont parle OJ : un événement a priori impossible et qui défie toute compréhension, sans le côté exaltant du miracle tel qu'on se le représente positivement. Alors qu'on le pensait mort, le personnage s'en serait sorti, et il s'agirait cette fois-ci d'un bon miracle.

 

Et cet effet miroir se prolongerait jusque dans la mise en scène : le premier plan, celui du mauvais miracle, était vu à travers les yeux de Ricky jeune (Jacob Kim). Et le dernier provient du regard d'Emerald.

 

OJ EST MORT

 

Oui mais voilà : Nope parle certes de notre obsession pour le spectacle ou de l'invisibilisation de la population afro-américaine. Mais également de l'importance du regard. Celui des victimes, mortes après avoir attiré la créature en cherchant à tout prix à la voir. Celui des héros, qui choisissent de ne pas voir pour ne pas être vus. Ou encore ce que Jordan Peele choisit de montrer ou non.

 

En l'occurrence, le réalisateur ne montre aucune interaction entre Emerald et OJ, ni même entre ce dernier et les journalistes qui se sont rués sur les lieux afin de s'approprier l'événement. Il préfère couper court et lancer le générique de fin après ce plan que nous ne voyons qu'à travers les yeux de la jeune femme incarnée par Keke Palmer. Qui pourrait avoir tellement souhaité le retour de son frère, qu'elle finit par l'halluciner.

 

Ce qui expliquerait ce plan spectaculaire et fantasmatique, un peu trop beau pour être vrai. Une impression renforcée par la musique mais qui va de pair avec le discours, développé tout au long du récit, sur la puissance des images. Il y a donc deux manières de voir la fin, selon que l'on est optimiste ou pessimiste, la seconde option faisant elle aussi écho au début du récit, mais d'une autre façon.

Comme on le voit plus tard, Ricky a quelque peu réécrit le drame qu'il a vécu sur le plateau de "Gordy et compagnie" (bien aidé par le sketch "hilarant" que le Saturday Night Live a tiré des faits) et dont nous avons un aperçu glaçant au tout début. Et c'est peut-être que ce qu'Emerald fait à la fin, en choisissant le dénouement qu'elle souhaite voir.

 

Avec cette fin ambiguë, Jordan Peele et Nope s'inscrivent un peu plus dans la lignée de La Guerre des Mondes de Steven Spielberg, dont ils se rapprochaient déjà grâce à leur manière de mêler le spectaculaire à l'intimiste, ou la séquence de la pluie de sang. En 2005, on avait reproché au papa d'E.T. son happy end un peu forcé et le retour miraculeux du fils du héros, alors que tout indiquait qu'il semblait avoir péri plus tôt.

 

Mais beaucoup ont noté que, de la même manière que le dernier acte de Minority Report pouvait être le rêve d'un John Anderton toujours en prison, la dernière séquence de La Guerre des Mondes n'était peut-être que le fruit d'une hallucination du personnage joué par Tom Cruise. En effet, la mise en scène et le montage se focalisent d'abord sur son regard avant de dévoiler le hors-champ : le retour de Robbie (Justin Chatwin). Qui n'interagit avec personne, alors qu'aucun personnage ne semble réagir explicitement à son arrivée, comme pour laisser le doute planer.

 

Une manière d'être en phase avec les nécessités d'un blockbuster estival sans pour autant trahir le propos que l'on cherche à développer. Et qui établirait une passerelle de plus entre le cinéma de Jordan Peele et celui de Steven Spielberg, qui s'est également aventuré dans La Quatrième dimension le temps d'un segment du film sorti en 1983. Tout en gardant ce parallèle entre bon et mauvais miracle, qui fonctionne aussi bien avec un OJ vraiment en vie qu'une hallucination d'Emerald. Nope est loin d'avoir révélé tous ses secrets.

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