Jacques Vallée et le "Collège Invisible"

J. Vallée et son mentor J.A. HYNEK

Article publié sur le site :  http://ovnis-direct.com

Le « Collège Invisible » et l’apport fondateur de Jacques Vallée


Par Thibaut CANUTI. (avec l’accord de l’auteur).
Publié par le magazine Ufo Mania en 2009.

« Chicago, 9 novembre 1963.
Mon but à présent est de créer une petite équipe d’élite autour de laquelle un véritable effort scientifique pourrait être organisé. Cette idée me ramène à Michel et à Guérin ».  
Jacques Vallée, Science Interdite, p.82.

 

« J’ai parfois l’affreuse sensation d’être le seul humain qui ne sache pas ce que sont les Ovnis ».  
Entretien avec M-T. de Brosses.

La recherche clandestine du « Collège Invisible ».

Dès le début des années 60, certains ufologues vont constituer un réseau discret d’échange d’informations et de recherches coordonnées qui portera le nom de « Collège invisible ». Les chevilles ouvrières et fondatrices en sont les français Jacques Vallée et Aimé Michel. Les hommes se connaissent et considèrent encore et non sans une certaine naïveté teintée d’orgueil, qu’une étude scientifique sérieuse, en marge de leurs activités professionnelles respectives, viendrait à bout de l’énigme des ovnis.
L’américain Joseph Allen Hynek, les Français Pierre Guérin et Claude Poher vont « appartenir » à ce groupe informel. Les débuts de l’informatique laissent augurer des traitements statistiques porteurs, d’autant que les ufologues ont constitué des bases de données rudimentaires qu’ils commencent à s’échanger. Ils sont notamment persuadés, comme Michel, qu’il existe un ordre dans le chaos des manifestations d’ovnis, que des vagues se distinguent déjà sur diverses régions (Cf. Orthoténie) et qu’il serait de la sorte possible de prouver que la Terre est l’objet d’une campagne systématique de « contrôle » et qu’une conscience intelligible – et unique – se dissimule derrière le fait ovni. L’enjeu est évidemment d’importance, puisqu’il s’agit par là même de démontrer la nature exotique et intelligence des ovnis, d’apporter enfin une première preuve scientifique valide.
Ils sont également convaincus qu’il y a une certaine urgence à étudier les faits, à échanger voire orienter dans un sens commun des recherches disparates, mais également à collationner les observations, leur attribuer une classification, de crainte qu’ils ne disparaissent dans l’oubli que les pouvoirs publics, la science et la presse « respectable » lui préparent.
Les raisons du quasi-secret de l’organisation sont complexes. Il est indéniable que le fait de s’intéresser à ce type de sujet, dans le monde scientifique très rationaliste de l’époque, correspondait à un « suicide professionnel ». Guérin et d’autres expérimentèrent très concrètement cette réclusion. Mais cette considération n’était pas la seule cause de la furtivité du collège invisible. Leurs membres étaient loin de considérer comme un objectif la reconnaissance officielle du sujet :
« [1]Cette reconnaissance ne me semble guère souhaitable. Il s’y associerait des procédures bureaucratiques, de longs délais, des comités à propos de tout et rien. Les responsables chargés de superviser la recherche et de contrôler les budgets seraient les mêmes savants qui ont nié absolument la réalité du problème et ont traité Aimé Michel d’escroc. Notre recherche serait émasculée par leur manque d’imagination, leur besoin de réduire tout à ce triste état qu’ils nomment, fort mal à propos, le « rationalisme », et qui n’a rien à voir avec la Raison ».
La confidentialité du Collège Invisible n’est donc pas uniquement due à la volonté de ses animateurs d’échapper aux foudres de leurs pairs scientifiques et d’avoir à en souffrir en terme de carrière, c’est aussi une volonté de voir la recherche sur le sujet s’organiser en toute liberté.
 
En 1975, quelques années après que le CUFOS (Center for UFO Study) de Hynek ait incorporé Jacques Vallée et l’essentiel des savants américains impliqués dans le « Collège Invisible », Vallée publie un livre éponyme justement consacré « (…) aux quelques scientifiques qui enquêtent sur les faits paranormaux (…) ».
« [2]Les travaux du « Collège Invisible » sont révolutionnaires parce que les savants qui le composent (une centaine dans cinq ou six pays) défient une certaine conception de l’autorité scientifique lorsqu’ils affirment que ces observations étranges méritent d’être étudiées, et que nulle théorie à leur sujet, même fantastique, ne doit être rejetée sans analyse. Depuis un quart de siècle, ils consacrent à cette tâche leur temps et leur énergie. Discrètement, ils apportent leur appui aux organisations d’amateurs qui rassemblent les données qui ne passent pas par les circuits officiels, et ils gardent intactes ces collections précieuses. De temps à autre, ils réussissent à porter la réalité du phénomène à la connaissance du public, et l’informent de l’existence d’un sérieux effort de recherche ».
 
Cette collaboration se fait dans une jubilation, - sans doute liée à la conviction des origines que les efforts conjugués de scientifiques ouverts d’esprit allaient venir à bout des ovnis -, dont Aimé Michel, homme dont nous avons vu qu’il appréciait et cultivait les réseaux, nous fait le récit :
« [3]Si la publication de mon livre m'apportait une cuisante déception en me révélant le mépris du public pour le problème qui, moi, me passionnait, elle me donna en revanche la clé d'un univers nouveau et fascinant : celui de la recherche clandestine. En moins d'un an, je me trouvai en relations épistolaires avec une foule d'hommes de science de France et de l'étranger (surtout des pays anglo-saxons), astronomes, physiciens, biologistes, psychologues, botanistes, géologues, que sais-je? Leur première lettre débutait régulièrement par la même clause de style : il ne fallait pas que l'on sache qu'ils avaient des rapports avec moi.
Je découvrais donc avec l'étonnement du néophyte les petites joies de la clandestinité. Mais j'étais loin de me douter jusqu'où cela pouvait aller. Les lettres échangées, les visites estivales (l'été est la saison des congrès scientifiques, et chacun sait que ces congrès sont surtout l'occasion de contacts sans rapports avec la manifestation elle-même), tout cela, je mis plusieurs années à en mesurer la portée, et même la signification. Je m'imaginais être le centre d'un petit réseau mondial d'esprits de toutes disciplines et de tous pays intéressés à la solution du problème Soucoupe. J'écrivais ici et là, je mettais en rapport un Anglais avec un Argentin, ou bien c'est moi qu'un Danois mettait en rapport avec un Suisse. C'était en somme (pensais-je) la petite internationale de la soucoupe, comme il y a celle du timbre-poste et celle des radioamateurs.
Il est vrai que cette internationale groupait surtout des hommes de science et que, dans cette mesure, elle était clandestine ».
 
L’organisation n’abritait pas que de simples chercheurs, se livrant clandestinement à la passion ufologique. On y inclut également – et sans doute un peu abusivement – de hautes personnalités comme le physicien Yves Rocard, qui fut dans les années 50 le responsable du programme d’armement nucléaire de la France, et dont l’intérêt pourtant discret pour les ovnis, puis pour la radiesthésie à la fin de sa vie, lui coûta les honneurs de l’Académie des Sciences. Au début des années 60, alors que Vallée songe déjà à quitter la France, Michel intercède auprès de Rocard pour qu’il lui trouve un poste qui lui permettrait de poursuivre discrètement ses recherches. Professeur à l’Ecole Normale Supérieure, Rocard bénéficie de ses entrées au plus haut niveau de l’Etat. En 1966, Vallée le rencontre une nouvelle fois par l’entremise d’Aimé Michel. Il lui remet un dossier contenant les « vingt meilleurs cas » tirés essentiellement du projet Blue Book et tente de le gagner à l’idée de poser la question des ovnis devant les Nations Unies. Selon Gildas Bourdais, l'idée d'établir un groupe officiel de recherche sur les ovnis en France sera prise en considération à peu près à la même époque, sans que l'on puisse dire clairement si la visite de Vallée y était pour quelque chose[4]. Nul doute que le gaulliste Alain Peyrefitte, ministre de la Recherche scientifique et des Questions atomiques et spatiales (1966-1967), politique rompu aux questions internationales, n’ignorait rien de l’essentiel à ce sujet. Vallée consigne de sa rencontre avec Rocard les notes suivantes : « [5]C’est un homme brillant sous ses apparences simples ; ses yeux pétillent d’humour et il possède la réserve rusée des grands bureaucrates :
« Dans ma situation, je ne peux pas faire grand-chose, vous comprenez, J’ai bien quelques petits contacts… ».
Tout au long de notre conversation, je devais sans cesse me remettre à l’esprit que j’avais devant moi quelqu’un qui gagnait sa vie en inventant des bombes atomiques. (…).
Une curieuse remarque de Rocard me revient à l’esprit à propos de certaines rumeurs qui circulent dans l’administration parisienne : les services secrets français seraient sur le point d’être réorganisés par de Gaulle. Il espérait que notre genre de recherches, toute cette science interdite, « ne serait pas autant découragée à l’avenir ». Voulait-il dire par là que ces services contrôlaient l’information sur les OVNI en France ? ».
Rocard n’obtiendra apparemment jamais rien de substantiel de ces appuis gouvernementaux et Vallée, Michel et Hynek ne pourront que constater que ne sont toujours pas réunis les éléments d’une grande étude scientifique sur les ovnis, accompagnés de moyens significatifs.
 
Comme nous l’avons vu avec Rocard, le Collège invisible devait surtout à Vallée et Michel. Dans l’ouvrage éponyme de Vallée, il est question de la grande conclusion auquel certains ufologues scientifiques sont arrivés, au vu des données du problème, le « système de contrôle », le camouflage du fait ovni, l’hypothèse extraterrestre dite au second degré, vers laquelle beaucoup d’ufologues proches de Vallée finiront par incliner.
Pour évoquer tous ces aspects, il était indispensable de se pencher sur la trajectoire et l’œuvre de Jacques Vallée, assurément le chercheur le plus fameux et sans doute l’ufologue le plus emblématique, car héritier d’une culture ésotérique et mystique dans laquelle l’ufologie  française plonge ses racines, tout en demeurant un des rares individus à avoir réellement investigué scientifiquement le phénomène.

[1] Jacques VALLEE, « Science interdite – Journal 1957-1969 », O.P Editions (Observatoire des Parasciences), Coll. « Documents », 1997. (1ère éd. Par « The Vallée Living Trust » – 1992). p.55.
[2] Jacques VALLEE, « Le Collège Invisible », Albin Michel, Coll. Les chemins de l’Impossible », 1975.
[3] Aimé MICHEL, Les tribulations d'un chercheur parallèle, revue Planète, n°20, Janvier-février 1965.
[4] Gildas BOURDAIS, « From GEPAN to SEPRA : Official UFO Studies in France », IUR n° 4, vol. 25, hiver 2000-2001), traduit « Du GEPAN au SEPRA : Les études officielles sur les OVNIS en France ».
[5] VALLEE, Science Interdite », op. cit., pp.197-198.

Les premiers pas en ufologie, la curiosité face au phénomène et au déni scientifique

Jacques Vallée naît en 1939 à Pontoise. Fils d’un magistrat conservateur et assez rigide, il poursuit des études de Mathématiques, d’Astrophysique puis, sur ce qui sera une des grandes révélations de sa vie de scientifique, l’Informatique.
Adolescent, Vallée a été le témoin en 1954 du passage d’un ovni au dessus de la demeure familiale.
« [1]Ce que j’observai était  un cigare gris métallique ou  peut-être un disque vu par la tranche, avec une bulle transparente sur le dessus. Il avait la taille apparente de la pleine lune et il planait silencieusement dans le ciel au dessus de l’église Saint-Maclou. Je ne me souviens pas de l’avoir vu partir. Ma mère m’a dit que l’objet s’en alla en laissant derrière lui comme des flocons d’une substance blanche. Se souvenant des années de la guerre, elle pensa d’abord que c’étaient des parachutes. J’ai gardé la forte impression que nous devrions répondre, que la dignité humaine exigeait cette réponse, même si elle n’était qu’un aveu symbolique de notre manque de compréhension. J’ai réalisé à cet instant que j’aurais à tout jamais honte de la race humaine si nous ignorions purement et simplement « leur » présence ».
 
Vallée suivra attentivement la vague de 1954 qui voit un déferlement d’ovnis s’abattre sur l’Europe entière. En 1958, il est enthousiasmé par la lecture du « Mystérieux objets célestes » d’Aimé Michel avec qui il entame une correspondance. Le jeune Vallée, pas même âgé de vingt ans, est alors une personnalité brillante, relativement exaltée, éprise de science, de morale et de spiritualité. Son attrait pour l’occultisme, et en particulier pour les Rose-Croix, a toujours été assumé tout en demeurant étanche à sa pratique de scientifique. Il n’empêche que cette passion intellectuelle et spirituelle est déterminante et nourrira les discours de Vallée sur le « système de contrôle ».
Des rosicruciens auxquels il adhère en 1960, le jeune Vallée estime alors que « [2]…leurs documents forment un intéressant complément spirituel à mon entraînement scientifique. Chaque mois je reçois par la Poste un paquet de cours qui comprend des lectures théoriques et des instructions pour de simples rituels qui laissent entrevoir des réalités plus élevées »[3].
Mais son véritable échappatoire est indubitablement la littérature, pas si différente chez Vallée, que l’on passe de ses romans de SF à sa trilogie ufologique « Autres dimensions » / « Confrontations » / « Révélations ».

En 1961, il soumet le manuscrit d’un roman, « Sub-Espace », à l’éditeur Georges Gallet directeur de la collection Hachette, « Le rayon fantastique ». L’ouvrage vaudra à son auteur le prestigieux Prix Jules Verne, sous le pseudonyme de Jérome Sériel. L’année suivante, « Le satellite sombre » parait chez Denoël (coll. « Présence du futur)[4].

[1] Jacques VALLEE, Science Interdite, Op. cit., p.27.
[2] Ibid., p.43.
[3] Le terme même de Rose-Croix désigne celui qui est parvenu jusqu’à l’état christique de perfection spirituelle et morale, les rosicruciens s’essayant à atteindre ce degré d’illumination, la nature profonde de la Rose-Croix se situant, à l’instar de l’Alchimie spirituelle, dans l’expérience intérieure individuelle. Bien que l’Ordre de la Rose-Croix ne soit apparu qu’au XVIIème siècle, la tradition fait de Paracelse (1493-1541), médecin et alchimiste emblématique, l’un des premiers Rose-Croix. Ces correspondances avec l’Alchimie se retrouvent également dans les croyances qui leur sont attachées. Ainsi, les rosicruciens distinguent l'âme humaine et l'athanor, c'est-à-dire le corps physique et les corps subtils qui maintiennent ce dernier en vie et assurent le lien avec l'âme, qui procède de Dieu. L’existence humaine est alors pensée comme le terrain de cette élévation de l’homme, une transmutation, qui lui révèle également ses liens étroits avec Dieu et la Nature. Les enseignements rosicruciens interrogent donc la nature véritable du Divin, l’origine de l’univers, la structure de la matière, les concepts de temps et d’espace, les lois de la vie, le but de l’évolution, l’âme humaine et ses attributs, les phases de la conscience, les phénomènes psychiques, les mystères de la mort, de l’après-vie et de la réincarnation, le symbolisme traditionnel et investissent également nombre de techniques anciennes en matière de mysticisme telles que la relaxation, la concentration, la méditation, la création mentale, l’alchimie spirituelle, etc.
[4] Jacques VALLEE, Le Sub-espace, coll. Le Rayon fantastique n°82, éd. Hachette, 1961 (pseud. Jérôme Sériel)  /  Le Satellite sombre, éd. Denoël, 1962 (pseud. Jérôme Sériel).

Mais Vallée a réellement consommé sa rupture avec le monde académique à l’occasion d’une observation d’ovni faite à l’Observatoire de Meudon et qui décida sans doute de la vigueur de sa vocation ufologique. Lors d’un entretien radiophonique avec la journaliste Marie-Thérèse de Brosses, il relate les circonstances de sa deuxième observation d’ovni, faite au théodolite.
« [1]Alors une nuit on a passé, enfin toute l’équipe est restée sur le plateau pour prendre suffisamment de points pour pouvoir calculer une orbite, parce que cet objet pouvait beaucoup… ça pouvait être un nouveau satellite qui n’était pas déclaré ; ça pouvait aussi être un objet qui ce soit satellisé, un objet tout à fait naturel qui se soit satellisé autour de la Terre, c’est peu probable, mais ça peut arriver, et ce serait bien entendu très intéressant de pouvoir le suivre. Il faut dire pour nos auditeurs que bien entendu on voit des météores, on voit des étoiles filantes toutes les nuits, ce sont des objets qui voyagent dans l’espace, qui traversent l’atmosphère et qui brûlent dans l’atmosphère.
De temps en temps il y a en a un plus gros que les autres qui arrive jusqu’au sol et à ce moment –là c’est une météorite qu’on peut récupérer. (…)
Donc c’était une des hypothèses qu’on suivait, ça nous intéressait de calculer une orbite. Donc on a obtenu onze mesures de « pointé » sur cet objet – qui était très brillant et qui avait la particularité d’être rétrograde –. Or, à l’époque, il n’y avait pas de fusées suffisamment puissantes pour lancer un satellite rétrograde, donc ça nous intriguait beaucoup. Et d’autant plus qu’il y avait d’autres observatoires et d’autres stations en France qui avaient vu la même chose. Et quand on a annoncé cela au directeur du projet, il a confisqué la bande et l’a effacée ».
Vallée s’efforcera, en vain, de briser ce mur du silence :
« Quand même, l’Observatoire de Paris fait des observations et les fait bien, et non seulement on n’en parlait pas au public mais on n’en parlait même pas à nos collègues. Alors j’ai demandé : Pourquoi on n’envoie pas ça aux Américains – puisqu’on envoyait toutes nos données aux Américains et on recevait d’eux des prévisions d’orbites, les calculs d'orbites, etc., intégrés. Donc on envoyait ça par télétype à la Marine américaine à Paris, qui se chargeait de l’envoyer au Smithsonian, aux États-Unis. Et c’était dans le cadre, encore une fois, du projet international de coopération scientifique. Et la réponse a été : Les Américains se moqueraient de nous.
Des années plus tard, travaillant avec le Pr. Hynek, j’ai trouvé dans ses dossiers des photographies qui avaient été prises à la même époque par des systèmes de « tracking » américains du même objet, qu’ils avaient classés comme non identifié ».

[1] Entretien de Jacques Vallée avec M-T. de Brosses, émission « La vague d’ovnis », Radio Ici et Maintenant, mardi 14 février 2006.  Retranscription de l’entretien : http://rimarchives.free.fr/Vallee-MTB.pdf - [Site consulté le 1er février 2009].

L’épopée américaine et la rencontre fondatrice avec Hynek

 

Cet épisode va donc l’affranchir définitivement sur le traitement du phénomène ovni par la communauté scientifique et singulièrement par le microcosme rationaliste dominant à l’époque en France. Il n’en est donc que plus convaincu de s’expatrier et rejoint Gérard de Vaucouleurs, spécialiste de l’étude des galaxies, chairman du département d’astronomie de l’Université du Texas, - prestigieuse institution en cosmologie et en mathématiques dotée d’un remarquable centre de calcul-, lequel cherche alors des astronomes qui soient également des informaticiens. Vallée contribue à y développer la première carte informatisée de Mars pour la NASA mais dispose surtout de toute la latitude possible pour exploiter les puissants ordinateurs de l’Université du Texas aux fins de la recherche sur les ovnis. Quoique sceptique, Vaucouleurs n’ignorait rien des convictions ufologiques de Vallée et ne les avait nullement découragées, mettant tout au contraire à sa disposition les moyens techniques de son laboratoire.
En 1963, après avoir enfin fait la rencontre de Joseph Allen Hynek, conseiller scientifique de l’armée de l’Air sur les ovnis depuis 1947, Vallée accepte le poste de programmateur de systèmes à l’Institut de Technologie de l’université du Northwestern où il entame un doctorat en Informatique. En réalité, aux cotés d’une autre étudiante nommée Nancy Van Etten, il devient l’assistant de Hynek et travaille rapidement à plein temps sur les ovnis. C’est vers la fin de l’année 1963, après avoir conduit les premières simulations informatiques d’ampleur, qu’il sera amené à réfuter la théorie des alignements orthoténiques, dont nous avons pourtant vu quelle fut sa postérité.
 
Au vu des données et des cas qu’il compulsait chaque jour à l’Université du Northwestern, Vallée plaidait déjà auprès d’Hynek pour que la dimension psychique et paranormale du fait ovni soit prise en compte. Hynek ne possédait pas la culture ésotérique de son disciple et accueillit avec intérêt cette idée neuve, à ses yeux. C’est que Vallée refusait de ne pas tenir compte de certains récits extraordinaires de rencontres rapprochées, de phénomènes parapsychologiques et d’enlevés ou de contactés qu’Hynek et beaucoup d’ « ufologues institutionnels » comme McDonald ou Keyhoe avaient évacué pour ne pas contrarier l’intérêt scientifique récent pour la question. En outre, il est empreint de cette littérature naissante, néo-évhémériste notamment, que nous avons évoquée et qui ne fera pas souche aux Etats-Unis avec le même écho qu’en France.
« [1]Dans les discussions récentes avec Hynek, je lui ai fait remarquer que la question des soucoupes peut bien faire partie d’un ensemble complexe de réalités scientifiques, mais qu’elle a aussi des racines profondes dans les théories mystiques et psychiques.
Je l’ai trouvé très réceptif à cette idée. Nous devons aussi nous poser la question de savoir si une intervention extraterrestre a pu être un facteur au début de l’histoire de l’homme, dans le développement de la civilisation et dans les événements bibliques. Comme Paul Misraki l’a montré dans son livre[2], l’immense machinerie des anges et des messages divins dictés par Jéhovah au milieu des éclairs et du tonnerre pourrait être interprétée comme une manifestation céleste plutôt que divine. Certains « supérieurs inconnus » sont-ils à l’origine de nos croyances ? Auraient-ils décidé de nous faire une piqûre de rappel ?
Une autre question se pose : l’état spirituel futur de l’homme a-t-il déjà été partiellement réalisé par certains individus ? Certains ont-ils reçu le don de réussir le contact, sur un certain plan, avec ceux qui guident peut-être notre évolution psychique ? ».
 
Auprès d’Hynek en 1964, il est appelé à rencontrer le major Quintanilla et l’équipe « Blue Book » lors d’une visite dans la FTD (Foreign Technology Division) de la base de l’Air Force de Wright-Patterson. Il y déplore l’attitude méprisante des officiels, exhibant quelques vagues pièces de métal récupérées sur des lieux présumés d’observations, laissant à penser que le phénomène n’a rien de sérieux ni de substantiel. Il y découvre également la gigantesque nébuleuse de l’Air Force, soucieuse de s’activer pour répondre aux demandes du congrès ou ne pas déplaire aux grandes firmes industrielles.
C’est la même année que Vallée rédige deux ouvrages, « [3]Anatomy of a phenomenon » préfacé par Hynek et « Les phénomènes insolites de l’Espace », qui sera traduit en anglais par l’ufologue et diplomate britannique Gordon Creighton, « pilier » de la « Flying Saucer Review ». Il y développe déjà ce qui seront des thématiques fortes de son œuvre, la présence ancienne du phénomène et ses manifestations, la densité et les spécificités du phénomène ovni, les pistes d’étude scientifique qu’il conduit aux cotés du Collège Invisible ainsi que les modèles de classification qu’il entreprend dès cette époque.
Son second livre ufologique, pudiquement intitulé « Les phénomènes insolites de l’espace »[4] et co-écrit avec Janine Vallée, se présente comme une somme où les auteurs font état de l’ensemble des études scientifiques conduites depuis quelques années, de l’analyse des cas français des années cinquante parmi les plus sérieux jusqu’à la vague américaine de 1964. Une large part de l’ouvrage évoque la théorie des alignements chère à Aimé Michel, dont nous avons vu qu’il sera l’amical fossoyeur. Il y fait également part d’une rigueur et d’une prudence intellectuelle qui en font d’emblée un cas atypique dans la littérature ufologique. L’hypothèse interplanétaire n’est pas la seule envisageable à ses yeux et il lui trouve déjà de nombreuses failles. Enfin, il formule pour la première fois des considérations et critiques méthodologiques fort pertinentes en proposant de nouvelles pistes de recherche.
Vallée reconnaît ainsi que « [5]Le phénomène « M.O.C »[6], n’a fait l’objet, jusqu’ici, d’étude sérieuse qu’aux États-Unis, où l’Air Force d’une part, a créé une organisation chargée de l’investigation des rapports, et où d’autre part certains savants, agissant à titre individuel, ont examiné les dossiers et fait connaître leur opinion. Ces études nous semblent critiquables, en ce qu’elles ont pris pour base un ensemble de données où aucun effort de classification n’avait été fait, où les observations valables sont restées noyées dans la masse des erreurs et des misinterprétations manifestes, où les faits sont très malaisément localisables et où la machine officielle a introduit des effets de sélection évidents que l’on a pas cherché à corriger ou même à décrire ».
 
Cette proximité avec Hynek va l’amener à être un acteur, et un observateur attentif de l’Air force et du gouvernement face aux ovnis, du fiasco de Blue Book, au tollé provoqué par l’affaire du « gaz des marais » qui fit de Hynek, - qui avait pourtant toujours appelé à une étude scientifique ouverte et sereine -, le symbole de la mauvaise foi des autorités concernant le phénomène ovni. Il travaille, pour le compte de l’Université de Northwestern au contrat d’analyse de données que l’Air Force confie conjointement à l’équipe d’Hynek et à l’Institut Battelle[7], centre de recherche privé que l’Armée consultait au sujet des ovnis depuis les années 50.
Les activités de Vallée sont denses et hétérodoxes. Il investigue tous les aspects du phénomène ovni, écrit des articles et rédige déjà l’ébauche de ce que seront ses premiers ouvrages. Il poursuit parallèlement ses études en programmation informatique. En 1966, alors qu’il achève sa thèse de doctorat, il est l’envoyé spécial d’Hynek à une conférence sur les ovnis en Occident du Congrès de l'Union Mondiale des Mathématiciens à Moscou. A la même époque, il rencontre également U Thant, secrétaire d’Etat birman élu Secrétaire général de l'ONU en 1962, avec qui il s’entretiendra de nouveau en 1966. Thant considérait alors les ovnis comme le problème le plus important auquel les Nations Unies avaient à faire face après la guerre au Vietnam selon Timothy Good[8]. Auprès de Rocard, il plaide pour que la France cautionne une étude scientifique internationale sur les ovnis.
 
En 1967, Vallée obtient sa thèse de doctorat en Informatique à l’Université de Northwestern, intitulée « Stratégies de recherches informationnelles et langages d’interrogation ». Elle traite du dialogue entre langage naturel et bases de données. A la même époque, Vallée est étroitement lié au projet de la NSF de réseau d'ordinateurs, qui aboutit au premier système de conférence sur l'Arpanet[9], prédécesseur de l'Internet. Il est également l’auteur de systèmes de classification[10] des observations d’ovnis, le second système paru en 1990 dans son livre « Confrontations », reste à ce jour la référence en la matière.
L’homme n’est définitivement pas prolixe – exception faite pour son journal qu’il tient secrètement et qu’il publiera bien plus tard – à la différence de son mentor Hynek qui a souvent vu ses propos aux médias déformés et caricaturés. Dès cette époque, extrêmement réservé sur le traitement réservé au phénomène ovni par la presse, Jacques Vallée est assez rare sur les médias, préférant les entretiens intimistes aux émissions trop souvent polémiques ou caricaturales, où sa pensée n’aurait pas manquée d’être trahie. Il serait trop simple de n’y voir que de l’orgueil, même si le jeune Vallée n’en est pas dépourvu. Il ne croit plus que les conditions soient réunies pour une prise de conscience globale et une prise en charge du dossier par les scientifiques. Il a plus que des raisons de se méfier des tentatives de désinformation des différentes instances gouvernementales et scientifiques américaines qu’il a vues à l’œuvre. Sa quête est donc essentiellement solitaire et il poursuit le dialogue scientifique entrepris avec son réseau de correspondants ufologiques du Collège Invisible. Même son profond respect pour Hynek s’effiloche à mesure que celui-ci se médiatise et néglige la recherche et l’analyse des données. En 1966, il écrit déjà : « Je voudrais que l’on me laisse poursuivre mes recherches. Je n’ai rien à dire au monde. Pas de message. J’ai publié mes données et ceux qui savent lire peuvent les trouver dans mes livres. Maintenant, c’est en moi-même que je veux chercher la vérité. Je me fiche que les autres approuvent ma démarche ou même simplement la comprennent. (…) Il n’y a pas de véritable science sans pensée visionnaire[11] ».

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