Trou noir : une première photo historique- Avril 2019

Scientists have obtained the first image of a black hole, using Event Horizon Telescope observations of the center of the galaxy M87. The image shows a bright ring formed as light bends in the intense gravity around a black hole that is 6.5 billion times more massive than the Sun. This long-sought image provides the strongest evidence to date for the existence of supermassive black holes and opens a new window onto the study of black holes, their event horizons, and gravity. Credit: Event Horizon Telescope Collaboration

 

 

La séquence d'événements semble trop belle pour être vraie.

 

En novembre 2015, on a fêté le centenaire de la découverte de la théorie de la relativité générale par Albert Einstein. L'année suivante, alors que cela faisait aussi cent ans que Karl Schwarzschild avait découvert sa solution des équations d'Einstein et qu'Einstein avait commencé à comprendre que sa théorie prédisait l'existence des ondes gravitationnelles, les membres de la collaboration Ligo-Virgo annonçaient qu'ils avaient mesuré directement sur Terre, pour la première fois, non seulement ces ondes gravitationnelles mais qu'elles provenaient de la fusion de deux trous noirs binaires, trou noir dont l'existence découlait justement des travaux de Schwarzschild.

 

Einstein, comme plusieurs de ses collègues, n'était pas du tout à l'aise avec la solution de Schwarzschild qui semblait physiquement pathologique bien que mathématiquement exacte.

 

La structure de l'espace-temps qu'elle impliquait défiait en plus la compréhension, et il faudra attendre la fin des années 1950 et le début des années 1960 avec les travaux de chercheurs comme David Finkelstein, Martin Kruskal et Roger Penrose pour y voir plus clair.

 

La singularité centrale, dont l'occurrence lors de l'effondrement d'une étoile avait été démontrée par Penrose, semblait confirmer ce qu'Einstein n'aimait pas, un effondrement de sa théorie et plus généralement de la physique avec la solution de Schwarzschild.

 

Le problème était même plus aigu qu'Einstein ne pouvait le prévoir, il y a presque 100 ans, en créant la cosmologie relativiste en 1917.

Il s'avérera en effet par la suite, avec les travaux d’Oppenheimer et ses élèves, que l'effondrement d'une étoile en trou noir est très similaire - si l'on inverse le sens du temps - à la naissance du cosmos observable avec le début de l'expansion de son espace, comme l'avaient notamment compris John Wheeler et Stephen Hawking.

 

 

Les trous noirs, des laboratoires de cosmologie quantique

 

Plus tard, l'astrophysicien et prix Nobel de physique Subrahmanyan Chandrasekhar ne manqua pas de souligner qu'un trou noir de Kerr en rotation, éventuellement avec une charge, ressemble à une particule élémentaire avec spin comme l'électron ou un quark (rappelons qu'un proton n'est pas une particule élémentaire et encore moins un trou noir). Wheeler et Bryce DeWitt, l'époux de la physicienne et mathématicienne française Cécile DeWitt-Morette, entreprirent de construire une théorie quantique de la gravitation pour décrire le Big Bang et les singularités dans les solutions de la théorie de la relativité générale au cours des années 1960. Peu de temps après, Hawking allait découvrir le fameux rayonnement des trous noirs et le paradoxe de l'information, qui questionne la nature profonde de la réalité, en appliquant les lois de la mécanique quantique aux trous noirs. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les physiciens se passionnent pour l'étude des trous noirs car ces objets sont probablement une clé de toute la physique fondamentale et d'une compréhension profonde de l'origine de l'Univers.

 

Nous n'avons pas encore observé le rayonnement Hawking mais nous avons observé les ondes gravitationnelles de ce qui semble bel et bien être des trous noirs qui fusionnent. Surtout, en cette année 2019, tout porte à croire que nous avons enfin obtenu une image montrant un trou noir supermassif avec un horizon des évènements. Et que nous allons pouvoir sonder ce qui se passe très près de cet horizon dans un avenir proche avec l'Event Horizon Telescope à l'origine de cette découverte, et, dans un avenir pas si lointain, au cours des années 2030, avec la mission eLisa. Remarquablement cette année, il y aura un siècle qu'Arthur Eddington apportait la première preuve de la théorie de la relativité générale en 1919, là aussi avec les effets de la relativité générale sur la trajectoire des rayons lumineux, et 40 ans que Jean-Pierre Luminet obtenait la première image réaliste de l'aspect d'un trou noir en utilisant un ordinateur (voir l'article ci-dessous).

 

Sommes-nous à l'aube de la découverte de manifestations expérimentales d'une théorie de la gravitation quantique ? On peut l'espérer. Aurélien Barrau l'a expliqué à Futura à l'occasion du succès des membres de la collaboration de l'Event Horizon Telescope.

Aurélien Barrau lors d'une conférence à l'IHÉS (Paris). © Aurélien Barrau 

 

« Nous avons d'excellentes raisons de croire que la relativité générale n'est pas une théorie définitive. Il faudrait, la "quantifier", ce qui résoudrait à la fois des problèmes de cohérence et étendrait sa capacité à décrire davantage de phénomènes. Il n'y a hélas pas consensus quant à la manière de procéder.

 

On suspecte depuis longtemps que le cœur des trous noirs est une zone où la gravitation quantique doit être convoquée. De très nombreuses études ont été menées pour comprendre comment cette dernière pourrait parvenir à s'affranchir des "singularités" de la relativité générale qui sont en réalité des pathologies de celle-ci.

 

Mais la plupart des études étaient jusqu'alors cantonnées à des effets très localisés au centre des trous et donc masquées par l'horizon. Il s'agissait par conséquent d'effets qui n'étaient pas observationnellement testables et touchaient plutôt à la cohérence interne du modèle. Récemment, le credo a évolué et plusieurs arguments intéressants laissent entendre que des corrections quantiques pourraient exister en dehors de l'horizon du trou noir ! Et cela change tout parce que la zone de l'espace-temps, soumise à des effets mesurables de gravitation quantique, pourrait maintenant être observable.

 

Il n'est pas certain que ces effets hors de l'horizon existent. Mais il faut noter que plusieurs approches indépendantes, utilisant des arguments assez généraux, mènent à cette conclusion. Cela ouvrirait des perspectives extraordinaires. De mon coté, je travaille sur les modes de relaxation des trous noirs dans le cadre de cette hypothèse. L'idée serait alors de voir les effets de gravitation quantique par les ondes gravitationnelles observées par Ligo et Virgo. Mais, de façon remarquable, il pourrait aussi se faire que l'ETH puisse sonder ces phénomènes.

 

Assez récemment, Giddings et Psaltis ont étudié les fluctuations quantiques qui existeraient hors de l’horizon et ont, pour la première fois, calculé les effets visibles et dépendant du temps qui pourraient en résulter. Ils concluent que les conséquences seraient difficilement discernables sur le trou noir au centre de notre Galaxie mais pourraient être vues autour de celui, 1.000 fois plus massif, se trouvant au centre de M87. Cela ouvre des possibilités fascinantes pour tester des hypothèses novatrices concernant les structures quantiques au voisinage des trous noirs. »

 

Ces déclarations font écho à celles du regretté Pierre Binétruy qui expliquait lui aussi, notamment dans la vidéo ci-dessous, que l'étude des ondes gravitationnelles et de l'environnement proche de l'horizon des événements pourrait bien un jour nous donner des clés pour tester et comprendre une théorie quantique de la gravitation.

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