Jacques Vallée ne sait toujours pas ce que sont les OVNIs

 

Après six décennies passées à sonder le “phénomène”, l’informaticien français n’est sûr que d’une chose : la vérité est vraiment, vraiment près de chez nous.

 

Sur la nappe blanche d’un restaurant de San Francisco, sous la lueur d’un plafond en forme de dôme en vitrail avec des images de lauriers, de fleurs de lys et d’un navire, reposait une portion de métal de la taille d’une échalote. Autour d’elle, trois hommes déjeunaient un jour de l’été 2018. Jacques Vallée, un informaticien français, expliquait à Max Platzer, rédacteur en chef d’une grande revue d’aéronautique, comment le métal était entré en sa possession. L’histoire remonte à plus de quatre décennies, dit-il sereinement, à un épisode inexpliqué à Council Bluffs, dans l’Iowa. (Note de JK: Council Bluffs est une ville américaine, siège du comté de Pottawattamie dans l’ouest de l’Iowa.)

 

Par un froid samedi soir de la fin de l’année 1977, les pompiers et la police avaient répondu à des appels concernant un objet rond et rougeâtre, doté de lumières clignotantes, qui planait au-dessus de la cime des arbres d’un parc public, puis avait déversé une masse lumineuse sur le sol. Lorsque les enquêteurs sont arrivés sur les lieux, ils ont trouvé une flaque de métal de 1,5 m sur 2,5 m, fondue comme de la lave, qui a enflammé l’herbe environnante avant de refroidir. En tout, 11 personnes de quatre groupes distincts ont donné des récits similaires de l’incident.

 

Un morceau de cette flaque se trouvait maintenant à quelques centimètres de l’assiette de Platzer. Le mystère, selon M. Vallée, était de savoir d’où provenait le matériau à l’origine. Les analyses métallurgiques de l’époque ont montré qu’il s’agissait principalement de fer, avec des traces de carbone, de titane et d’autres éléments – en gros, un alliage d’acier mélangé à ce qui ressemblait à de la fonte. Il ne pouvait pas s’agir de débris de satellite ou d’équipements tombés d’un avion, a souligné M. Vallée ; ces éléments n’auraient pas été assez chauds pour fondre et ils auraient formé des cratères sur le sol. Pour les mêmes raisons, il ne pouvait pas non plus s’agir d’une météorite. Et de toute façon, il n’y avait pas assez de nickel pour une météorite.

 

Un faussaire aurait-il pu couler le métal en place ? Peu probable, selon Vallée. Cela aurait nécessité un four industriel et un moyen de transporter le matériau fondu. Le démarchage des entreprises métallurgiques locales n’a rien donné. La thermite était une possibilité ; elle brûle assez fort pour faire fondre l’acier et ne produirait pas de cratère. Mais pour créer le matériau ressemblant à de la fonte que Platzer a vu devant lui, l’auteur aurait dû arroser la flaque d’eau, et l’eau aurait gelé, et il n’y avait pas de glace sur les lieux.

 

Vallée a pensé que le métal méritait d’être examiné avec les dernières technologies. C’est là que le troisième homme à la table est entré en scène.

 

Garry Nolan, qui mangeait maintenant un hamburger, était professeur de pathologie à la faculté de médecine de l’université de Stanford. Sa spécialité est l’analyse des cellules, en particulier des cellules cancéreuses et immunitaires, mais certaines de ses techniques fonctionnent également sur la matière inorganique. Son équipement pouvait, par exemple, analyser un échantillon de métal au niveau atomique, en indiquant non seulement les éléments qu’il contenait, mais aussi les variantes, ou isotopes, de ces éléments, et leur emplacement dans l’échantillon. Ces informations peuvent à leur tour fournir des indices sur le lieu de fabrication du matériau – sur Terre ou ailleurs – et peut-être même sur sa fonction.

 

Platzer n’était pas le genre de personne que l’on attendrait pour assister à un déjeuner sur les OVNI. Il a fait ses armes en travaillant sur la fusée Saturne V, le véhicule de lancement qui a transporté les humains sur la lune, et il a enseigné pendant trois décennies à la Naval Postgraduate School. Mais il avait fait des recherches sur ces deux hommes. La réputation de Nolan était “impeccable”, m’a-t-il dit plus tard, et celle de Vallée était “exceptionnelle”.

 

Vallée, qui a aujourd’hui 82 ans, a des yeux de célestine, un nez puissant et une chevelure d’acier qui ressemble à un chapeau d’aluminium. Sous cette chevelure rare se cache un esprit encore plus rare. Au cours de ses soixante années de carrière en tant que scientifique et technologue, il a notamment aidé la NASA à cartographier Mars, créé la première base de données électronique pour les patients ayant subi une transplantation cardiaque, travaillé sur Arpanet, l’ancêtre d’Internet, développé des logiciels de mise en réseau qui ont été adoptés par la British Library, l’Agence nationale de sécurité des États-Unis et 72 centrales nucléaires dans le monde, et orienté plus de cent millions de dollars d’investissements dans la haute technologie en tant que capital-risqueur.

 

Ses contacts de longue date font l’éloge de son “sérieux” (Federico Faggin, inventeur du premier microprocesseur commercial d’Intel) et de sa “pondération” (Paul Saffo, prévisionniste technologique) ; ils soulignent qu’il “garde l’équilibre” (Ian Sobieski, président du groupe d’investissement Band of Angels) et n’est “pas un frimeur, au contraire” (Paul Gomory, chasseur de têtes). Ils vous assurent qu’il est “très prudent” (Peter Sturrock, physicien des plasmas) et qu’il “veut du concret” (Vint Cerf, membre du panthéon de l’Internet et vice-président de Google). Pourtant, sous cet extérieur sobre, ils peuvent aussi dire que bat “le cœur d’un poète” (Saffo encore).

 

M. Vallée a écrit 12 livres sur ce que lui et d’autres appellent “le phénomène”, c’est-à-dire la gamme d’expériences surréalistes qui comprend les rencontres avec des ovnis. Il considère ce travail comme un hobby et se méfie des pseudo-archéologues, des escrocs patentés et des conspirationnistes qui ont tendance à peupler ce domaine. Il y a beaucoup de bozos dans cette voiture de clowns, et Vallée est un conducteur prudent. Pour lui, le phénomène représente une frontière à la fois scientifique et sociale. Lorsque vous l’étudiez, vous devez exploiter des chiffres, des bases de données, des algorithmes de recherche de modèles, mais vous devez également avoir un penchant ethnographique, un intérêt pour la façon dont la culture façonne la compréhension. En d’autres termes, vous devez vous efforcer de peser les données dures et les données molles, malgré le scénario moderne “où le département de physique se trouve à un bout du campus et le département de psychologie à l’autre bout”.

 

Les documents de Vallée, confiés à l’université Rice, comprendront finalement des dossiers sur quelque 500 événements anormaux sur lesquels il a personnellement enquêté, de l’enlèvement de Betty et Barney Hill sur la route 3 des États-Unis à un atterrissage qui a paralysé un agriculteur dans une culture de lavande provençale. Pourtant, il aime plaisanter en disant qu’il est le seul ufologue à ne pas savoir ce que sont les OVNIs. Il doute qu’il s’agisse de 4×4 interstellaires – il serait déçu si c’était le cas. La vérité, pense-t-il, est presque certainement plus étrange que cela, plus déroutante et plus révélatrice de la nature de l’univers. C’est pourquoi, il y a longtemps, lorsque Steven Spielberg l’a consulté pour Rencontres du troisième type, Vallée s’est opposé à la scène finale, dans laquelle les extraterrestres émergent de leur vaisseau spatial. Trop proscriptif, pensait-il. Spielberg a rendu hommage à Vallée en incarnant le personnage du scientifique français du film, joué par François Truffaut, mais il a conservé la fin de la rencontre. Il semble que c’était ce que le public voulait : Rencontres Rapprochées a battu Star Wars au box-office quelques jours seulement après l’incident de Council Bluffs.

 

Platzer se considérait comme neutre sur le sujet des OVNIs. “Il faut être très prudent en disant que certaines choses sont impossibles, parce qu’elles sont devenues possibles, m’a-t-il dit. Pensez à, vous savez, l’avion. Les revues scientifiques réputées comme la sienne ont toujours évité le sujet, dans un embargo tacite et partagé qui s’étend à des sujets comme la doctrine de la Terre plate. Mais Platzer a estimé qu’une expérimentation solide était de mise. Il a accepté de publier les recherches de Nolan et Vallée si elles passaient le contrôle par les pairs. “Il est temps”, a-t-il dit.

Quel que soit ce qui se cache derrière le phénomène OVNI, dit Vallée,

il est beaucoup plus intelligent que nous et il utilise l’humour à un autre niveau.

Photo : Christie Hemm Klok

 

L’arrivée de Vallée sur Terre, en 1939, coïncide avec un flash – les bombes nazies tombant sur la banlieue de Paris. Sa mère était une passionnée d’exploration spatiale. Son père était juge au tribunal correctionnel, “habitué au témoignage humain dans toutes ses couleurs”. Enfant, Vallée ne s’ennuyait jamais. Il collectionnait les télescopes et observait la lune et Jupiter. En 1954, pendant une vague de trois mois d’observations de soucoupes volantes en France et en Italie, il a découpé toutes les histoires avec des interviews de témoins et les a collées dans un carnet pour les relire.

 

Au printemps suivant, alors que Vallée avait 15 ans, il a rencontré le phénomène par un dimanche clair et sans vent. Il était dans le grenier en train d’aider son père à travailler le bois pendant que sa mère jardinait dehors. Elle a crié – il s’est précipité en bas. Il a vu un disque gris garé en silence au-dessus de la cathédrale gothique de la ville. Le meilleur ami de Vallée l’a observé depuis les hauteurs avec des jumelles. “Nous étions de parfaits petits intellos !” m’a-t-il dit. “Je lui ai demandé de le dessiner. C’était la même chose.” Le père de Vallée était sûr que les garçons et sa femme avaient vu un prototype militaire – une explication que son fils a presque avalée.

 

Les parfaits petits intellos français n’étaient pas, bien sûr, les seuls à se pencher sur la question des OVNI dans les années 50. Aux Etats-Unis, l’Air Force avait mis en place une étude publique appelée Project Blue Book. En Suisse, le psychiatre Carl Jung se trouvait “perplexe à mort” devant les soucoupes volantes. Dans son livre sur le sujet, il compare les ovnis à un “ange technologique” ou à un “miracle des physiciens”. Ils avaient la forme de mandalas, écrivait-il, et semblaient avoir un effet similaire sur notre psyché – un “symbole de plénitude” qui apparaît dans “des situations de confusion et de perplexité psychiques.”

 

Vallée est allé à la Sorbonne pour étudier les mathématiques. Un jour, dans un grand magasin parisien, il prend un livre intitulé Mystérieux Objets Célestes, du philosophe Aimé Michel. À l’époque, dans le domaine de l’ufologie, la mode est à la non-fiction qui emprunte aux romans de gare des intrigues sur les civilisations de Vénus et de Mars ; à l’opposé, Célestes propose la première hypothèse vérifiable du domaine. Selon Michel, si l’on reportait sur une carte toutes ces observations de 1954, on constaterait qu’elles forment des lignes droites qui traversent le pays. Il a appelé ce modèle “orthoténie”.

 

Vallée, ravi de voir une théorie correcte, a envoyé une lettre à l’auteur. L’adolescent se demande si les humains peuvent communiquer avec ces intelligences cachées, que Michel a appelées “X”. Dans sa réponse, Michel dit qu’il n’en a pas beaucoup d’espoir. Il rappelle à Vallée que des témoins ont vu des engins surgir de nulle part et se transformer en une fraction de seconde. Comment donner un sens à de telles visions ? “Ne vous laissez pas berner par l’idée d’aller au fond des choses”, a-t-il insisté. “Ce n’est qu’un mirage.” Vallée devrait plutôt cultiver son esprit comme s’il s’agissait d’une fleur, bien qu’il doive également se rappeler que “le coquelicot est une fleur” et ne pas se perdre dans des notions enivrantes.

 

Le conseil a porté ses fruits. Vallée commence à écrire un roman intitulé Le Sub-espace, qui raconte l’histoire d’une équipe de scientifiques qui fuient une guerre mondiale sur Terre, s’installent dans un laboratoire sur la face cachée de la Lune et construisent une machine qui leur permet d’explorer des réalités alternatives tout en évitant des “pièges hallucinatoires”. Il a publié le livre sous un pseudonyme et, sous son propre nom, a travaillé pour obtenir une maîtrise en astrophysique. Il a épousé Janine Saley, une personne qui partageait ses idées et qui avait suivi une formation de psychologue pour enfants avant de se tourner vers l’informatique. (Elle avait emménagé dans le logement étudiant voisin du sien et à travers le mur mince, ils ont réalisé qu’ils aimaient les mêmes disques).

 

L’année où Vallée a obtenu son diplôme, Le Sub-Espace a remporté le prix Jules Verne. Malgré cet honneur, remis à la Tour Eiffel, il garde ses intérêts pour la science-fiction à moitié secrets. Il travaille comme astronome pour le gouvernement français, dans un château transformé en observatoire près de la capitale, où un IBM 650 geignard calcule les orbites des satellites dans des écuries autrefois utilisées par la maîtresse du roi.

 

Puis, en 1962, Vallée accepte un autre poste en astronomie, cette fois à Austin, au Texas. Il apprécie les grands chênes, les grands papillons et les grandes voitures, et apprend, dit-il, qu’un bon scientifique est comme un cavalier sur la piste de rodéo, qui a le courage de remonter sur le taureau. (Il a signé des courriels qu’il m’a adressés en disant : “Accroche-les ! Etc.”) Mais il se sentait également prêt à abandonner une belle carrière en astronomie pour ce qu’il espérait être une vie plus intéressante dans le domaine des ordinateurs et des objets célestes mystérieux.

 

L’année suivante lui offre l’occasion parfaite : J. Allen Hynek, le directeur du département d’astronomie de l’université Northwestern, lui trouve un emploi de programmeur pour l’Institut Technologique de l’école. Hynek était également le conseiller scientifique du Projet Blue Book, la sonde OVNI de l’US Air Force. Vallée, 24 ans à peine, avec un casque de cheveux bruns, sera l’aide de camp officieux de Hynek.

 

“Il y a en France plus de vrais philosophes que dans n’importe quel pays de la Terre ; mais on y trouve aussi une grande proportion de pseudo-philosophes”, écrivait Thomas Jefferson dans une lettre à un ami en 1803. “L’imagination exubérante” d’un Gaulois “crée souvent des faits pour lui”, poursuit le président et gentleman scientist, “et il les raconte avec bonne foi”.

 

Au début de l’année, le ministre français de l’intérieur avait envoyé Jean-Baptiste Biot, un jeune physicien, enquêter sur des rapports faisant état d’une boule de feu et d’une grêle de gravats au-dessus de la ville de L’Aigle, en Normandie. L’Académie des sciences est divisée sur la manière d’expliquer ce phénomène : les pierres, comme le pensait Descartes, provenaient-elles de l’atmosphère ? Étaient-elles, comme d’autres le pensaient, dégorgées par les volcans ou arrachées du sol par la foudre ? Ou bien les pierres étaient-elles, peut-être, étrangères à notre planète ?

 

Biot fait partie d’une frange croissante de la population qui soutient l’hypothèse extraterrestre. Fait inhabituel pour l’époque, il s’est rendu dans la région pour recueillir ses propres données. Il est encore plus inhabituel qu’il parle à des gens ordinaires (des “citoyens”, dans l’argot de la Révolution française) de ce qu’ils ont vu. Biot a classé les preuves qu’il a recueillies comme étant soit physiques (pierres, cratères), soit “morales” (témoignages des gens).

 

Selon les témoins, les rochers ont “cassé la branche d’un poirier”, ont touché une prairie si profondément que l’eau a jailli, et sont venus “siffler dans la cour du presbytère”, rebondissant “à plus d’un pied de hauteur”. Dans “une chaumière hors du village”, écrit Biot, “je trouvai un paysan de la région qui en tenait une dans ses mains.” La femme de cet homme “l’avait ramassé devant leur porte”. Prises ensemble, les preuves physiques et “morales” rendaient la réalité des météorites impossible à nier, du moins pour ceux qui prenaient le temps de lire le rapport de Biot. (Jefferson ne l’a apparemment pas fait.)

 

A Chicago, le nouveau mentor de Vallée, Hynek, voulait un événement OVNI comme celui de L’Aigle. Il voulait une photographie irréprochable ou quelque chose qu’il pourrait tenir dans ses mains. Lors des réunions du Collège Invisible, le discret club d’ufologie que les Vallées hébergeaient dans leur appartement, il disait : “Nous devons attendre qu’un très bon cas se présente.” Mais M. Vallée fait valoir que les découvertes scientifiques ne se déroulent généralement pas de cette façon. La compréhension a tendance à apparaître lentement, dit-il, après une étude méthodique. Les scientifiques ne devraient pas attendre un événement sensationnel qui pourrait ne jamais se produire. Ils devraient rassembler toutes les données disponibles sur les OVNI, qu’elles soient dures ou non et en dégager les schémas. Résoudre la question de l’inconnu X.

 

A l’époque de la naissance du premier enfant des Vallées, un fils, le couple a compilé une base de données numérique de ce qu’ils considéraient comme des observations d’OVNI crédibles ; elle était alimentée par des centaines de rapports du projet Blue Book aux Etats-Unis et par des milliers d’autres qu’ils ont collectés en Europe. Vallée a été l’un des premiers à utiliser des ordinateurs, des statistiques et des simulations pour étudier le phénomène. Ces outils lui ont notamment appris que l’orthoténie, le modèle découvert par Michel, était purement fortuite.

 

Vallée passe l’année 1964 à pousser la poussette de son fils le long du lac Michigan, à programmer un modèle du système cardiovasculaire pour la faculté de médecine de Northwestern, à poursuivre un doctorat axé sur l’intelligence artificielle et à peaufiner son premier ouvrage sur les OVNI, Anatomie d’un phénomène, dans lequel il affirme que les témoins constituent une riche source de données et doivent être pris au sérieux par les scientifiques. (Il finit par concevoir un système de classification qui tient compte de la crédibilité de la source, du fait que le site a été examiné par des enquêteurs et des explications possibles de l’incident). Mais Vallée se méfiait de passer pour un “missionnaire” bruyant et fier de l’être : il n’a pas autorisé son éditeur à mentionner sur la jaquette qu’il travaillait pour Northwestern, et il a refusé de promouvoir le livre de manière agressive. Vallée se souvient que Carl Sagan lui a écrit avec admiration à propos d’Anatomy, mais qu’il a refusé lorsque l’ufologue lui a demandé s’il pouvait extraire de la lettre un texte de présentation du livre. Comme me l’a dit un physicien favorable aux ovnis, “il faut faire attention à sa situation politique en tant que scientifique”.

 

En 1966, sous la pression du Congrès, l’Air Force a convoqué un comité de scientifiques civils pour décider si la question des ovnis justifiait des recherches supplémentaires. Le comité était dirigé par Edward Condon, un physicien nucléaire et quantique estimé. Comme Vallée s’en souvient, lui et Hynek ont été les premiers à témoigner. (Après 18 mois et 59 cas résolus, le comité Condon a conclu que l’étude “ne peut probablement pas être justifiée dans l’espoir de faire progresser la science”. Son avis a été entériné par l’Académie Nationale des Sciences et publié sous la forme d’un livre de poche de 965 pages destiné au grand public, avec un avant-propos du rédacteur scientifique du New York Times.

 

Bien avant que ce livre ne soit imprimé, les Vallées ont fui pour Paris, dégoûtés.

 

Vallée réside à San Francisco mais garde un pied-à-terre dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés de la capitale française. L’un des après-midi que j’ai passés avec lui, autour d’un café et d’éclairs, il m’a montré une lithographie d’une gravure du XVIe siècle, qu’il avait repérée dans la vitrine d’un vendeur voisin et qu’il “devait avoir”. Elle représentait une rencontre, environ 350 ans plus tôt, entre saint François et un séraphin céleste.

 

François était à la fois rempli de joie et de douleur par cette expérience. Selon l’interprétation du graveur, l’ange émet un rayon de lumière qui le marque de stigmates. Ces détails rappellent à Vallée une vague d’activité ovni au Brésil en 1977, peu avant l’incident de Council Bluffs. Des victimes ont déclaré avoir été frappées par de puissants faisceaux lumineux provenant d’engins de forme carrée. Des dizaines d’entre elles, dit-il, présentaient des brûlures correspondant à une exposition à des radiations.

“Saint François reçoit les stigmates”, 1567. Photo : Heritage Images/Getty Images

Nous étions dans le même quartier que celui où sa famille avait emménagé en 1967, lorsque Vallée a pris un emploi chez Shell. Sur des ordinateurs dans un sous-sol près des Champs-Élysées, il avait construit des bases de données en forme de ballet qui prévoyaient la quantité et le type d’essence que les Français allaient consommer dans leurs voitures, camions, bateaux et trains lorsqu’ils se rendraient sur la Côte d’Azur pour les vacances. Ce printemps-là, alors que la France est en proie à des troubles civils et qu’une grande partie de la population se met en grève générale, son deuxième enfant, une fille, naît. C’était le chaos, et la clarté.

 

Le rapport Condon a révélé comment la question des OVNIs avait tendance à alterner entre deux pôles : soit on croyait que ces phénomènes étaient des mirages créés par des événements naturels bizarres ou des tours de passe-passe de la perception humaine (foudre en boule, ballons météo), soit on croyait que les OVNIs étaient des vaisseaux de fortune pilotés par des extraterrestres.

 

Vallée ne se trouvait dans aucun des deux camps. Sa perception du phénomène, aux accents de Jung, lui disait que c’était plus qu’une simple question d’écrous et de boulons. Quelque chose à ce sujet parlait aux gens au niveau de la mythologie, engageant leur psyché. Les rapports d’expériences de sixième sens, comme la clairvoyance, étaient la norme. Il espérait que la science commencerait un jour à expliquer tout cela, à expliquer quel type de technologie, de quel endroit, pouvait générer de tels effets physiques, mentaux, voire spirituels. Un hologramme 3D avec une masse ? Un objet 5D traversant notre univers 4D ? L’équivalent psychique d’un projecteur de films, capable de montrer à une personne Bambi et à une autre Godzilla ?

 

Quelle que soit cette technologie, Vallée pensait que les humains s’en servaient depuis des millénaires, à la fois comme un fait empirique et comme un mythe hésitant. Et il a commencé à rassembler les références culturelles pour le prouver. Avec l’aide des libraires de Paris, il acquit une bibliothèque de textes ésotériques et créa un catalogue d’observations d’OVNI remontant aux temps pré-modernes. Ce catalogue est plus long que le livre qu’il a écrit sur cette base en 1969, Passport to Magonia.

 

Au Japon, a découvert Vallée, un “vaisseau en terre cuite” a laissé une “traînée lumineuse” au-dessus de la campagne en 1180, et des samouraïs ont observé une “roue rouge” en 1606. Les Romains avaient vu des “boucliers” dans le ciel, les Amérindiens des “paniers du ciel”. Dans les années 1760, à l’âge de 16 ans, Goethe était sur la route de l’université lorsqu’il a rencontré “d’innombrables petites lumières” qui “rayonnaient” dans un ravin. Peut-être que c’était des feux follets, a dit le polymathe en herbe. “Je ne déciderai pas.”

 

Les êtres dont Vallée a parlé vous trompent. Ils vous volaient et vous rendaient après un certain temps, des heures ou des générations plus tard. S’ils parlaient, ils disaient n’importe quoi – qu’ils venaient du Kansas, ou “de n’importe où, mais nous serons en Grèce après-demain”, comme l’a dit un habitant d’un dirigeable à un spectateur en 1897. (Plus tard : “Nous venons de ce que vous appelez la planète Mars”).

 

Si l’on considère l’ensemble de ces cas, on constate que l’étrangeté est similaire. En 1961, par exemple, les occupants d’un OVNI argenté, qui portaient des cols roulés, ont fait signe à un plombier du Wisconsin de remplir leur cruche d’eau. Il a pensé qu’ils avaient l’air “d’être italiens”. Il a accédé à leur demande, et ils ont remercié sa gentillesse en leur offrant une assiette de crêpes qui avait “un goût de carton”. (Les crêpes n’étaient pas salées, selon une analyse ultérieure de la Food and Drug Administration américaine).

 

Cet échange, a souligné M. Vallée, fait écho à des histoires datant d’avant la révolution industrielle, selon lesquelles des lutins offraient des galettes de sarrasin aux Bretons. Et ces “petites gens” étaient connus pour ne pas supporter le sel non plus. Se pourrait-il, demande Vallée, que ce qui est derrière la foi des fées soit derrière l’ufologie ? Ne pourraient-ils pas provenir du même “courant profond”, filtré par des milieux culturels et technologiques changeants ?

 

Après la sortie de Magonia, les Vallées ont déménagé plusieurs fois, pour finalement s’installer à San Francisco pendant les “étranges années 70”. Il a travaillé pour SRI International, où il a aidé Doug Engelbart, l’inventeur de la souris, à mettre en place Arpanet. À cette époque, de nombreux collègues de Vallée sont impliqués dans le programme Erhard Seminars Training (EST), une entreprise d’auto-assistance culte. Il a ressenti une énorme pression “de la part de toutes les groupies” pour y participer mais ne l’a pas fait. (Par prudence, Vallée dit qu’il n’a jamais consommé de tabac ou de drogues et boit rarement de l’alcool). Il a quitté le SRI pour travailler à l’Institute for the Future, où il a dirigé des équipes qui ont développé certains des premiers réseaux sociaux.

 

Pendant son temps libre, Vallée effectue des analyses informatiques sur les dossiers historiques d’OVNI. Il découvre d’étonnants schémas d’activité, qui, selon un anthropologue psychologue de l’UCLA, ressemblent à un programme de renforcement, le même processus que celui utilisé pour apprendre un nouveau tour à Spot ou Rover. Dans son livre Le Collège Invisible, publié en 1975, Vallée émet l’hypothèse que le phénomène est un système de contrôle, qui tire sur les délicats leviers de l’imagination humaine, reprogrammant notre logiciel, en fait.

 

Dans quel but? Vallée ne pourrait pas le dire, pas plus qu’il ne pourrait vous dire le son d’une main qui applaudit. Selon lui, l’absurdité est une caractéristique essentielle du phénomène. Elle fatigue l’esprit rationnel parce que celui-ci ne peut pas la comprendre. Comme il me l’a dit récemment, le phénomène se comporte parfois comme un dauphin : il joue avec nous. “Il est beaucoup plus intelligent que nous, et il utilise l’humour à un autre niveau”, a-t-il déclaré.

 

La suite de la carrière de Vallée s’est orientée vers le capital-risque, un métier qui, comme l’ufologie, offre de grandes opportunités de perdre son nom, sa chemise et ses affaires. Il a gagné une réputation de diplomatie et de décence. Il a commencé à rédiger une chronique hebdomadaire pour le service économique du Figaro, traduisant la folie de la Silicon Valley en termes compréhensibles pour un public français très attaché à la langue. (Au milieu des années 80, il dirigeait un fonds d’amorçage de 75 millions de dollars pour la NASA. Je lui ai demandé si sa préoccupation pour les OVNIs l’avait fait sourciller. Vallée a souri. “Les gens ne vous donnent pas ce genre d’argent s’ils soupçonnent que quelque chose ne va pas chez vous”, a-t-il répondu.

 

Des années avant le déjeuner avec Max Platzer, Vallée et Garry Nolan étaient membres ensemble d’un club secret d’ufologues, semblable à l’ancien Collège Invisible. Je les appellerai les Lonestars, car les membres avec lesquels j’ai parlé m’ont demandé de ne pas publier le vrai nom du groupe. Aujourd’hui dissous, ils formaient un cercle restreint de scientifiques sérieux, plus un membre de la famille royale européenne, qui se réunissaient plusieurs fois par an pour discuter de leurs recherches. Selon Nolan, les anciens Lonestars sont “à un pas de distance” de toutes les grandes nouvelles sur les OVNIs de ces dernières années – les observations aériennes des pilotes de la Navy, le rapport peu concluant du Pentagone qui a fait la une du Times sous le titre “US Concedes It Can’t Identify Flying Objects”. Nolan m’a montré son certificat d’intronisation dans le groupe, un morceau de drôlerie Valléeienne embossé avec des aliens chauves aux grands yeux.

 

Là où Vallée réagit à la plupart des critiques par “un soupir” et garde la tête basse, Nolan est contestataire. Il a fait son coming out en tant que gay à l’âge de 20 ans, au début de l’épidémie de sida, et ne supporte pas les placards. “L’un des responsables de l’Institut national du cancer, dans un bar lors d’une conférence, est venu me voir et m’a dit : “Garry, tu sais, tu vas ruiner ta carrière avec ces trucs”, m’a raconté Nolan. “Et j’intervenais juste après lui. J’ai dit, ‘Quel scientifique retire quelque chose de la table ?'”

 

Après la rencontre avec Platzer, il a fallu trois ans à Vallée et Nolan pour que l’étude de Council Bluffs soit terminée, rédigée, éditée et prête à être examinée par des pairs. Pendant ce temps, Vallée s’est penché sur une autre vieille affaire, que beaucoup d’ufologues considèrent comme un rien du tout, voire une imposture.

 

En 1945, un mois après le tout premier essai d’arme nucléaire, nom de code Trinity, deux jeunes cow-boys âgés de 7 et 9 ans ont entendu un crash dans le désert du Nouveau-Mexique. Ils ont trouvé un vaisseau en forme d’avocat, à l’intérieur duquel se trouvaient des occupants ressemblant à des mantes religieuses. Les êtres semblaient souffrir, ce qui fit pleurer le plus jeune garçon. Les deux témoins sont restés des décennies sans parler de ce qui s’est passé. Il reste du site un artefact en métal, toujours en cours d’analyse.

 

L’année dernière, Vallée a publié un livre sur l’affaire, coécrit avec Paola Harris, une journaliste ufologique italienne qui a enseigné à l’American Overseas School de Rome et qui enseigne actuellement dans une association à but non lucratif basée à Hawaï qui soutient les contacts avec les extraterrestres, les dénonciateurs gouvernementaux et la cause de la diplomatie galactique. Sa décision de s’associer à elle a suscité la colère de la communauté des ovnis. Pourquoi, ont-ils demandé, cette Scully sans état d’âme se mettrait-elle en selle avec un Mulder qui fait la pluie et le beau temps ? (De toute évidence, ils avaient oublié les fruits qu’une telle dynamique peut porter). Le livre souffre d’un besoin d’édition professionnelle, mais c’est un classique de Vallée, marchant avec confiance dans la zone frontalière mouvante entre la marginalité et le courant dominant. À la fin, le lecteur doit décider s’il doit croire ou non au phénomène.

 

Et le morceau de métal de la taille d’une échalote provenant de Council Bluffs ?Il était composée d’éléments isotopiquement ordinaires, mélangés de façon atypique. L’article de Progress in Aerospace Sciences, qui a été publié en décembre 2021, n’a jamais été censé être “une percée sur ce que sont les OVNIs”, m’a dit Vallée. Il n’était pas destiné, à la manière de L’Aigle, à assommer une ville entière avec des pierres. C’est “un modèle”, a-t-il dit, “de ce que pourrait être une recherche sérieuse sur les OVNIs à l’avenir, si l’on respecte les règles”. Lui et Nolan étudient maintenant des échantillons pour d’éventuels articles de suivi. “Il faut d’abord ouvrir la porte, avant de pouvoir apporter les paquets”, a-t-il déclaré.

 

Quelle que soit la vérité scientifique, M. Vallée soupçonne qu’elle pourrait être liée au secret de la conscience elle-même. Ce que les philosophes appellent les qualia, l’expérience consciente de chaque être humain, semble être plus que la somme de nos parties physiques. Il y a là un X non résolu. Federico Faggin, l’ami de Vallée, soutient que la conscience est une propriété fondamentale de la nature, que les dimensions que nous appelons espace-temps sont en fait des sous-produits d’une réalité plus profonde. Peut-être que les OVNIs, suggère Vallée, sont cette réalité qui surgit dans la nôtre.

 

Lorsqu’il a lu Mystérieux Objets Célestes pour la première fois, alors qu’il était adolescent, Vallée a écrit dans son journal intime : “Je vais probablement mourir sans voir de solution à cet immense problème.” Dix ans plus tard, après avoir assisté à l’alunissage, il a recopié une phrase tirée des Études Alchimiques de Jung, selon laquelle les plus grands problèmes de la vie “ne peuvent jamais être résolus, mais seulement dépassés”. Le chemin est encore long jusqu’à un endroit comme le musée de la météorite de L’Aigle, en Normandie, où les fragments sombres d’une réalité avérée reposent, comme des truffes, sous un dôme de verre.

 

Traduction de Jacky Kozan, le 20 février 2022

 

Source : https://www.wired.com/story/jacques-vallee-still-doesnt-know-what-ufos-are/

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